Insécurité à Tanguiéta : l’accès aux soins de santé plus que jamais menacé

Lundi 21 octobre 2024, le centre de santé de Tanguiéta semble désert, les patients s’y font rares. Bien que les portes restent ouvertes, se rendre au centre relève d’un véritable défi pour les habitants de cette commune frontalière du nord Bénin. Pour ceux des villages isolés situés à plusieurs kilomètres, chaque trajet vers un soin devient une épreuve entre la distance et l’insécurité grandissante dans cette région éloignée, à quelque 590 kilomètres de Cotonou.

Enseigne CS Tanguiéta

Il y a trois mois, Bénédicte Tatchama, 32 ans, a enduré une crise d’ulcère. Pourtant, elle n’a pas pu se rendre à l’hôpital, situé à 13 kilomètres de son domicile. Dépourvue de moyens et dissuadée par une insécurité omniprésente, Bénédicte a dû recourir à des remèdes traditionnels, faute de pouvoir être soignée dans un centre de santé. Comme elle, des centaines de résidents de Tanguiéta voient leur accès aux soins entravé par la violence croissante dans la région.

En effet, depuis la mi-2022, le nord du Bénin est le théâtre d’une montée en puissance des attaques perpétrées par des groupes extrémistes violents. Autrefois limitées au Sahel, ces violences se sont étendues jusqu’à cette paisible commune, rendant chaque déplacement dangereux et exacerbant les inégalités en matière de santé.

Les données de l’Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED) montrent que le nombre d’incidents liés aux GEV a connu une augmentation alarmante : de cinq cas en 2021, il est passé à 120 en 2022, puis à 222 en 2023, marquant une hausse de 2300 %.

Un accès aux soins de plus en plus difficile

À Tanguiéta, les structures de santé, concentrées en centre-ville, peinent à répondre aux besoins de la population locale et des personnes déplacées. Salem N’touama, une résidente de la périphérie de Tanguiéta, raconte : « Il est difficile de se déplacer à certaines heures. Il y a quelques mois, j’ai dû marcher quatre kilomètres pour recevoir des soins à 19 heures, en risquant ma sécurité. Nous ne savons jamais si nous arriverons sains et saufs à l’hôpital. »

Le Professeur N’Koué Emmanuel SAMBIENI du département de sociologie et anthropologie de l’Université de Parakou et est l’auteur d’un article scientifique paru dans la Revue Africaine des Sciences Sociales et de la Santé Publique intitulé, « Les barrières et les violations courantes du droit à la santé dans quelques hôpitaux publics au Bénin en 2023 ».

Le Chercheur au Laboratoire d’Etudes et de Recherches sur les Dynamiques Sociales et le Développement Local (LASDEL) a montré à travers cette étude que les principales barrières du droit à la santé portent sur l’accessibilité financière, géographique, physique, culturelle, la disponibilité, l’acceptabilité des services et la qualité des soins de santé au Bénin.

Cette insuffisance de personnel et d’équipement pousse une grande partie de la population vers des soins traditionnels, faute de mieux, bien que leur efficacité soit souvent limitée. De plus, l’indisponibilité de certains produits pharmaceutiques oblige les habitants à parcourir de longues distances pour se rendre à Natitingou ou même jusqu’à Parakou. Tanongou, N’dahonta, Taïacou, ou Cotiakou

Un climat de suspicion dans les soins

Ces défis se posent alors que le nombre d’habitants à Tanguiéta a augmenté en raison de l’afflux de milliers de réfugiés venant du Burkina Faso, qui ont été accueillis par des familles béninoises. Cette situation d’insécurité a créé un climat de méfiance qui impacte directement la qualité des soins.

Entrée principale Centre de Santé Tanguiéta

Les agents de santé, craignant pour leur sécurité, deviennent plus réticents face à certains patients. « Nous avons aussi nos craintes. On ne sait plus qui est qui. Nous faisons beaucoup attention aux patients pour ne pas être attaqué en voulant sauver», explique un infirmier sous couvert d’anonymat.

En raison de la précarité ambiante de nombreux résidents renoncent à consulter les centres de santé, Salem poursuit : « L’économie locale a pris un coup à cause de la crise sécuritaire. Les gens préfèrent rester à la maison avec leurs douleurs que de se rendre à l’hôpital avec des difficultés de solder. » Cette situation économique limite davantage l’accès aux services de santé pour les plus vulnérables dans la commune.

Des besoins persistants avec des initiatives d’aide

Face à cette crise, le gouvernement béninois, en partenariat avec l’OMS et d’autres agences des Nations Unies, avait déployé des efforts considérables pour répondre aux besoins. En mars 2023, une aide humanitaire de plus de deux millions de dollars en vivres, en intrants médicaux, et en numéraire a été octroyée pour soutenir près de 9 000 personnes, en particulier dans les localités de Matéri et Tanguiéta. L’OMS a également contribué en envoyant des équipements médicaux et des médicaments de première nécessité.

« Ces dons vont nous permettre de renforcer les capacités des structures sanitaires pour assurer la continuité des services de santé essentiels de qualité au profit des personnes déplacées », avait indiqué le Dr Doumitou Moutouama, directeur départemental de la santé de l’Atacora.

Fin septembre 2024, l’Autorité de Régulation du secteur de la Santé (A.R.S), l’institution dont la mission est de veiller à la réalisation du droit à la santé pour tous par l’amélioration continue de l’offre et de la qualité des soins est allée au contact des populations et acteurs du système sanitaire dans le département de l’Atacora.

Dans toutes les communes sillonnées dont la commune de Tanguiéta, le déficit de personnel qualifié a été évoqué comme un obstacle à la performance du système de soins et les plaidoyers sont tous allés dans le sens d’une action de recrutement. Une proposition bien reçue par le Président de l’ARS, Pr Lucien Dossou Gbete.

Par ailleurs, il invite les 12 et 13 décembre prochains, les Directeurs départementaux de la santé, les Médecins coordonnateurs de zone sanitaire, les responsables d’établissements de santé publics et privés à présenter le niveau de déploiement du dispositif pour la sécurité des patients dans leurs aires sanitaires respectives.

Des solutions pour un accès aux soins sécurisé

Malgré ces contributions, la situation reste difficile. La demande excède largement les capacités d’accueil des structures locales. Les populations appellent désormais les autorités à renforcer la sécurité autour des centres de santé, notamment par le retour de postes de sécurité dans les zones rurales, ce qui permettrait de sécuriser les trajets pour les patients. « La barrière policière près de la sortie de Tanguiéta avait un effet rassurant, mais elle a été déplacée. Nous prions pour qu’elle soit remise en place, car elle nous donnait un sentiment de sécurité », a confié Salem N’touama.

Pour François Kassa, résident à Tanguiéta Tanguiéta ne doit pas souffrir de deux maux. Il lance un appel aux acteurs politico administratifs à renforcer les mesures de sécurité dans la commune de Tanguiéta afin de garantir que les populations accèdent aux dispositifs sanitaires bien qu’ils soient insuffisants.

Quant à Salem, elle réclame des mesures concrètes pour améliorer l’accès aux soins, notamment par l’augmentation des dotations en médicaments, le déploiement de davantage de personnel de santé, et l’amélioration des infrastructures sanitaires.

Pour Salem, François et bien d’autres, l’espoir réside dans un soutien du gouvernement et des partenaires internationaux pour pallier aux multiples défis posés par l’insécurité. Car au-delà des chiffres, c’est le droit fondamental à la santé qui est en jeu pour ces milliers de personnes dans la commune de Tanguiéta.

Megan Valère SOSSOU