Protection de l’environnement et numérique : le casse-tête des déchets électroniques
L’essor du numérique et la digitalisation des activités humaines nécessitent des équipements devenus indispensables ; mais, usés, ces équipements deviennent d’énormes déchets souvent mal gérés.
« Quand mon ancien téléphone s’est arrêté de fonctionner, je ne savais pas où le jeter. Aucun point de collecte n’était disponible dans mon quartier. Je l’ai gardé à la maison, comme beaucoup de gens le font ici », raconte Serge Toassegnitche, Directeur d’école primaire à Zakpota. Comme lui, des milliers de Béninois se retrouvent confrontés à un dilemme lorsqu’un appareil électronique arrive en fin de vie.
Selon le rapport Global E-waste Monitor en 2020, 53,6 millions de tonnes de déchets électroniques ont été produites à l’échelle mondiale en 2019. Le Bénin quant à lui, a généré 9 200 tonnes de déchets électroniques la même année. Ces déchets d’équipements électriques et électroniques représentent le flux de déchets solides qui connaît la croissance la plus rapide au monde en raison du développement numérique.
Ces déchets d’équipements électriques et électroniques générés au Bénin constituent une menace silencieuse selon Géraud Koudakpo, spécialiste de l’assainissement à l’ONG Save Our Planet. « Ces déchets, classés comme ‘’déchets chimiques’’, contiennent des substances toxiques comme le plomb et le cadmium, qui, une fois libérées dans la nature, contaminent les sols, les eaux et l’air », a-t-il déclaré.
Face à ces constats inquiétants, certains acteurs, tant privés que citoyens, commencent à prendre des initiatives pour limiter les impacts de ces déchets.
Responsabilités sociétales et citoyennes
En 2021 à Cotonou, l’Entreprise Ericsson et le réseau de téléphonie mobile MTN Bénin se sont associés pour recycler les équipements électroniques et électriques en fin de vie, dans le cadre d’une initiative dénommé Ericsson Product Take-Back Program. Une collaboration qui a permis la collecte, la mise hors service, le transport et le recyclage de plus de 123 tonnes métriques de déchets d’équipements électriques et électroniques. « Chez MTN, nous croyons aux bienfaits d’une planète saine et nous nous sommes engagés à atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2040. Nous reconnaissons notre devoir d’atténuer les effets négatifs du changement climatique et de soutenir la préservation de l’environnement… », avait déclaré, Uche OFODILE, PDG de MTN Bénin dans un communiqué de presse.
À Porto-Novo, des jeunes réunis au sein de l’ONG Voix et Actions Citoyennes organisent des campagnes de sensibilisation et des ateliers pour une meilleure gestion des déchets d’équipements électriques et électroniques. Elias Guivi est l’un d’entre-deux. Il est activiste pour l’économie circulaire. « Nous avons initié Blodothon qui signifie littéralement Marathon de réparation. Un atelier collaboratif qui promeut la réparation, la customisation des déchets d’équipements électriques et électroniques… » a-t-il confié.
En l’espace d’une année, plus de 30 ateliers collaboratifs ont été organisés avec à la clé des centaines d’équipements électroniques réparés. Près de 500 apprenants appartenant à plus de 20 groupes pédagogiques ont été sensibilisés à l’utilisation durable des appareils électriques et électroniques.
Des initiatives louables mais qui restent insuffisantes face au défi que posent ces déchets au quotidien pour de nombreux acteurs du secteur.
« Après plusieurs réparations, beaucoup de clients préfèrent acheter de nouveaux téléphones et abandonnent parfois les anciens chez moi. Voici, je me retrouve avec de plus en plus de déchets électroniques », raconte Yves Atonhonton, Maintenancier électronique à Bohicon.
C’est pourquoi, Sahoudatou Orèdola PIO, Juriste spécialiste de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) pense que les entreprises qui fournissent des équipements électriques et électroniques doivent collaborer avec les entreprises de réparation pour une meilleure gestion des déchets. Cependant, les efforts des entreprises et des initiatives citoyennes ne suffisent pas à eux seuls. L’Etat a un grand rôle de veille à jouer.
Responsabilité de l’Etat
Le Ministère du cadre de Vie, des transports en charge du développement durable à travers la Direction Générale du Climat et de l’Environnement (DGEC) multiplie les séances de sensibilisation à l’endroit des acteurs locaux sur l’utilisation de ces déchets.
Dans le même temps, la loi n° 2017-20 portant code du numérique en République du Bénin en son Article 32 oblige tout équipementier, opérateur, importateur et distributeur à respecter les normes environnementales. « Le Bénin ne dispose pas d’une politique claire sur la gestion des déchets électriques et électroniques. Ce manque d’encadrement pousse les utilisateurs et fournisseurs de services à adopter des méthodes d’élimination inappropriées avec des conséquences sur la santé communautaire et l’environnement. », déplore la spécialiste RSE.
Pourtant, au plan international le Bénin est signataire de plusieurs conventions sur les déchets électriques et électroniques reconnus comme dangereux. Il s’agit des conventions de Rotterdam, de Bamako, de Stockholm et de Bâle.
Pulchérie Donoumassou Simeon, Point Focal de la Convention de Bâle au Bénin à la DGEC, pense que les défis sont encore nombreux et entiers en ce qui concerne les méthodes de gestion des déchets électriques et électroniques au Bénin.
« Il n’existe pas encore de procédure formellement établie par les textes… mais il serait très important que l’Etat mette en place une procédure en termes d’accompagnement des personnes qui importent ces équipements. » Il y va de la santé des populations et de la protection de l’environnement a-t-elle indiqué.
Dans le cadre de la formalisation du secteur, il est envisagé le recensement des acteurs et la coordination des importations des équipements électriques et électroniques a-t-elle expliqué en soulignant que les techniciens réparateurs seront des maillons essentiels.
Le Bénin dans son élan pour le développement numérique doit veiller aux impacts environnementaux. Il s’agira de développer des solutions pour gérer les déchets électroniques de manière responsable.
Pour y arriver, il est essentiel que les pouvoirs publics, les entreprises, et les citoyens s’unissent pour relever ensemble ce défi environnemental, sans quoi, la transition numérique ne peut être durable.
Cet article est rédigé dans le cadre de la bourse du Programme de journalisme sur les Infrastructures Publiques Numériques (IPN) de la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) en collaboration avec Co-Develop.
Megan Valère SOSSOU