L’appétit vorace de l’industrie norvégienne du saumon menace les moyens de subsistance en Afrique de l’ouest

Un nouveau rapport intitulé « Blue Empire : How the Norwegian salmon industry extracts nutrition and undermines livelihoods in West Africa » dévoile les conséquences dévastatrices de l’industrie norvégienne du saumon d’élevage sur les populations d’Afrique de l’Ouest. Publié par Feedback et une coalition d’organisations d’Afrique de l’Ouest et de Norvège, le rapport dénonce la voracité de cette industrie qui entraîne une perte des moyens de subsistance et des problèmes de malnutrition dans la région.

Les éléments clés du rapport révèlent que le secteur du saumon d’élevage norvégien extrait près de 2 millions de tonnes de poissons sauvages chaque année pour nourrir les saumons en élevage. Cette extraction massive représente 2,5 % des captures mondiales de pêche marine. Une part significative de l’huile de poisson utilisée dans l’élevage du saumon norvégien provient d’Afrique du Nord-Ouest, une région déjà touchée par une grave insécurité alimentaire.

Feedback a calculé que le poisson utilisé pour produire cette huile aurait pu nourrir jusqu’à 4 millions de personnes en Afrique de l’Ouest, répondant ainsi à leurs besoins nutritionnels annuels. Les principaux responsables de cette situation sont les quatre géants de l’alimentation animale, MOWI, Skretting, Cargill et Biomar, qui fournissent la quasi-totalité de l’alimentation utilisée dans l’élevage du saumon norvégien.

Le rapport met en évidence la disproportion entre la production de saumon d’élevage en Norvège et la quantité de poisson sauvage nécessaire pour produire l’huile de poisson.

Alors que la Norvège envisage de tripler sa production de saumon d’élevage d’ici 2050, la demande en poissons sauvages pourrait être trois fois plus importante qu’en 2020. Malgré les engagements affichés en matière de développement durable, le secteur n’adopte que peu d’alternatives pour remplacer le poisson sauvage dans l’alimentation des saumons.

L’impact sur l’Afrique de l’Ouest est dramatique, avec des conséquences directes sur la sécurité alimentaire. Le poisson provenant des zones de pêche au large des côtes de l’Afrique de l’Ouest aurait pu nourrir des millions de personnes, mais est détourné pour alimenter l’industrie du saumon norvégien. En 2021, la Norvège a exporté 118 000 tonnes de saumon vers la France, représentant 70% de la consommation de saumon dans le pays.

Des experts et représentants d’organisations ont réagi au rapport. Natasha Hurley, directrice de campagnes de Feedback, dénonce l’expansion de l’aquaculture industrielle comme un « colonialisme des temps modernes ». Marie Suzanna Traore, secrétaire exécutive du RAMPAO, souligne que la pêche artisanale est vitale pour les communautés autochtones, tandis que Dr. Aliou Ba de Greenpeace Afrique appelle à l’arrêt immédiat de ces pratiques destructrices.

Le rapport appelle le gouvernement norvégien à stopper la croissance du secteur du saumon d’élevage, exiger une transparence totale dans la chaîne d’approvisionnement et s’assurer que les objectifs de développement global ne soient pas compromis. Les entreprises, dont les producteurs de saumon et d’aliments pour animaux, sont également appelées à divulguer de manière transparente leurs approvisionnements, cesser de s’approvisionner dans des zones exacerbant l’insécurité alimentaire et mettre fin à l’utilisation de poissons sauvages dans l’alimentation animale.

Megan Valère SOSSOU

Boîte d’info

Pour satisfaire l’appétit de l’aquaculture mondiale pour le poisson sauvage, l’industrie de la farine et de l’huile de poisson s’est développée en Afrique de l’Ouest ces dernières années. Au cours de ces dix dernières années, le nombre d’usines de farine et d’huile de poisson en Afrique de l’Ouest est passé de 5 à 49.
Les producteurs norvégiens d’aliments pour animaux s’approvisionnent en huile de poisson produite à partir de captures issues de la Principale zone de pêche 34 de l’Atlantique Centre-Est, telle que définie par la FAO (« FAO 34 »). Il s’agit de la zone située au large de la côte ouest de l’Afrique, qui s’étend du détroit de Gibraltar jusqu’à l’embouchure du fleuve Zaïre.




Non-réhabilitation des sites miniers au Burkina Faso : que deviennent les 60 milliards FCFA versés par les sociétés minières ?

Les différents Codes miniers que le Burkina Faso a adoptés encadrent la question de la fermeture et de la réhabilitation des sites miniers. En effet, les sociétés minières qui sont en fin d’exploitation ont l’obligation de réhabiliter le cadre ayant servi à leurs activités. Pour ce faire, elles cotisent annuellement pendant la phase d’exploitation de leur mine afin que cette manne financière puisse servir à la réhabilitation. Malgré tout, aucun site n’a été réhabilité. Alors, quel est le point des cotisations des sociétés minières ? Que deviennent ces milliards FCFA ?Pourquoi les sites ne sont pas réhabilités malgré les milliards FCFA versés par les sociétés minières ? Nous avons cherché à comprendre cette impossible réhabilitation des sites miniers fermés au Burkina Faso.

Site minier /Ph:DR

L’exploitation minière à un impact significatif sur l’environnement. Mais à la fin de l’exploitation d’une mine, la société a l’obligation de réaliser des travaux de remblaiement, de re-couverture des sols par l’utilisation des matériaux de remblaiement des fonds de carrière, excavation, puits et la reconstitution de la base du biotope par des plantations des différentes espèces, etc. C’est pour couvrir les frais liés à ces différentes opérations de restauration de l’environnement et du cadre ayant servi aux activités minières que le Code minier fait obligation pour chaque exploitant minier, de créer un compte à la BCEAO ou dans une banque commerciale où elles cotisent en fonction des éléments contenus dans le plan de gestion environnemental et social. Le montant issu de ces cotisations servira à toutes les activités de réhabilitation.

Le Code minier adopté en 2015 s’est voulu clair sur la question. En effet, en son article 141, la loi n°036-CNT portant Code minier prescrit que « tout titulaire d’un permis d’exploitation de grande ou de petite mine, d’un permis d’exploitation semi-mécanisée ou d’une autorisation d’exploitation industrielle de substances de carrières est tenu d’ouvrir et d’alimenter un compte fiduciaire à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ou dans une banque commerciale du Burkina Faso qui servira à la constitution d’un fonds pour couvrir les coûts de la mise en œuvre du programme de préservation et de réhabilitation de l’environnement. Les sommes ainsi utilisées sont en franchise des impôts sur les bénéfices. Les modalités d’alimentation et de gestion de ce fonds sont établies par voie réglementaire ».

La gestion de ces fonds cotisés par les mines relève des compétences du Fonds d’intervention pour l’environnement (FIE). Dans ce sens, le FIE « est mobilisateur et gestionnaire du fonds. Il a œuvré à l’ouverture des comptes » par les sociétés minières, expliquent les responsables du FIE. En outre, le décret n°2017-0047/PRES/PM/MEMC/ MEEVCC/MINEFID/MATDS 15 février 2017, portant organisation, fonctionnement et modalités de perception des ressources du Fonds de réhabilitation et de fermeture des mines, précise les conditions d’approvisionnement du compte ainsi que les conditions d’utilisation des fonds qui y sont versés.

Ces milliards FCFA qui dorment en banque

Selon les informations recueillies auprès de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE-BF), les sociétés minières ont assuré le versement de leurs cotisations. En 2016 par exemple, le solde global de leurs cotisations était à seulement 9.110.134.041 FCFA contre 23.950.892.373 FCFA attendus en fin 2015 selon les chiffres de l’ITIE-BF. Ce qui donnait déjà un manque à gagner de 14.840.758.332 FCFA.

Par la suite, la situation semble avoir plus ou moins évolué. A la date du 31 décembre 2022 et selon le rapport d’avancement 2023 de l’ITIE, ce sont 57.128.711.498 FCFA qui ont été cotisés par 11 sociétés minières. A la même date, il était cependant attendu des sociétés minières, des cotisations à hauteur de 60.640.610.823 FCFA. En fin 2022, le manque à gagner est de 3.511.899.325 FCFA. Ce qui veut dire que le compte n’est pas encore bon pour ce fonds de réhabilitation malgré les efforts des sociétés minières. Néanmoins, « il est important de souligner que toutes les sociétés minières contribuent », précise ITIE-Burkina.

Pour l’année 2023, des sociétés ont déjà opéré des versements pour le Fonds. A la fin du premier semestre de l’année 2023, l’on apprend auprès du FIE, que 12 sociétés ont procédé au paiement des cotisations du fonds de réhabilitation et de fermeture des sites miniers. L’ensemble des cotisations depuis l’initiative du fonds de Réhabilitation en 2015 donne la somme de 60.933.070.629 FCFA à la date du 30 juin 2023.

Impossible réhabilitation ?

Cependant, cette réhabilitation des sites miniers au Burkina Faso connaît des difficultés, sinon des blocages, selon les responsables du FIE. Ces derniers confirment d’ailleurs que les sites des mines en situation de fermeture n’ont pas encore été réhabilités. Selon les informations d’ITIE Burkina, à ce jour, il est fait état de « 6 mines en arrêt pour diverses raisons » et non des mines fermées.

Des sociétés minières disposent de leur plan de réhabilitation, mais peinent à les voir étudiés par un Comité. En effet, les plans de réhabilitation et de fermeture d’une mine industrielle et semi mécanisée ou une carrière industrielle sont examinés et validés par le Comité technique interministériel d’examen des plans et programmes de réhabilitation et de fermeture des mines.

Ce Comité a été créé par l’arrêté interministériel n°2019-554/MEEVCC/MMC/ MINEFID/MATDCS du 30 octobre 2019. Composé de 24 membres, il est présidé par le Secrétaire général du ministère en charge de l’Environnement. Les membres ont été officiellement installés le 9 décembre 2020. La procédure veut que chaque mine adresse son plan de réhabilitation au ministre chargé des Mines qui saisit le Président du Comité pour statuer. Malheureusement, révèlent les responsables du FIE, à la date du 30 juin 2023, aucun plan de réhabilitation et de fermeture de mine n’a été soumis au Comité.

« Les charges de fonctionnement du CT/EV et du Comité Interministériel de suivi-contrôle sont supportées par le Fonds de réhabilitation et de fermeture des mines. »

Le FIE accuse « le manque de ressources pour le fonctionnement du Comité mis en place ». En outre, le manque de ressources nécessaires au fonctionnement des comités mis en place; le manque de textes qui fixent les modalités d’accès aux ressources et la non-tenue des comités chargés de l’examen et de la validation des plans et programmes de réhabilitation et de fermeture des mines constituent des barrières à la mise en œuvre de la réhabilitation des sites miniers, à en croire les experts du FIE.

En effet, l’article 21 de l’Arrêté n°2019-554/MEEVCC/MMC/ MINEFID/MATDCS dit que « les charges de fonctionnement du CT/EV et du Comité interministériel de suivi-contrôle sont supportées par le Fonds de réhabilitation et de fermeture des mines ». Et l’article 22 ajoute que « les indemnités de session des membres du CT/EV, les frais de mission des membres du comité interministériel et suivi-contrôle et les indemnités de session du conseil d’administration du Fonds d’intervention pour l’environnement sont servis conformément aux textes en vigueur ». Le texte ne précise donc pas l’origine des indemnités et autres prises en charge, puisque les activités financées par les cotisations sont clairement citées dans le décret.

Faut-il parler de problèmes de prise en charge des membres du Comité ? Non, répond un technicien de l’ITIE-Burkina. Avant lui, nous avons tenté de poser la même question aux acteurs directs de l’Etat, mais nos demandes d’entretien avec le Ministère des Mines, celui de l’Environnement, et l’Agence nationale des évaluations environnementales, toutes datées du 5 juillet 2023 n’ont pas eu de réponse.

L’une des difficultés majeures, selon notre source de l’ITIE-Burkina, est de pouvoir disposer de ressources humaines aguerries pour faire des travaux de terrain, évaluer l’impact réel des activités minières avant de pouvoir apprécier les éventuelles propositions de plan de réhabilitation des sites. A cela, confie-t-il, s’ajoute la question sécuritaire qui ne facilite pas des travaux de ce type.

Néanmoins, selon l’Inspecteur de l’environnement Juste Bationo, la question de la prise en charge des membres du Comité technique demeure une réalité. Il explique le lien avec les questions de prises en charge par les dispositions réglementaires qui encadrent les conditions de décaissement des fonds.

« Il est difficile à l’Administration de procéder au déblocage des fonds pour la tenue des sessions de validation des plans et programmes annuels de réhabilitation et de fermeture. »

Il y a plusieurs conditions à remplir, selon lui : « Les dépenses relatives aux travaux de réhabilitation et de fermeture des sites miniers ne peuvent être autorisées qu’après la réalisation d’une évaluation précise du coût de la réhabilitation et de fermeture des sites miniers, la transmission du rapport d’évaluation du comité technique faisant ressortir les conclusions des travaux, l’avis final, la liste des membres ayant participé aux travaux ainsi que la version définitive du plan de réhabilitation et de fermeture au Conseil d’Administration du FIE et l’établissement d’un rapport d’exécution physique et financière des travaux de l’année précédente s’il y a lieu. »

Cette autorisation des dépenses de réhabilitation est assurée par le comité technique interministériel chargé de l’évaluation et de la validation des plans de réhabilitation. De ce fait, il est difficile à l’Administration « de procéder au déblocage des fonds pour la tenue des sessions de validation des plans et programmes annuels de réhabilitation et de fermeture ». Selon le Directeur général par intérim du FIE, il faut vite trouver une solution aux différentes difficultés liées à la réhabilitation des mines.

Afin de comprendre ces blocages, nous avons adressé une correspondance au ministère en charge de l’Environnement ainsi qu’à celui chargé des Mines et au Comité. Mais jusqu’au moment où nous bouclions ces lignes, nous n’avions reçu aucune réponse.

Face à toutes ces difficultés constatées dans le dispositif, l’on apprend qu’une relecture des textes régissant la réhabilitation est en cours afin de rendre le Comité plus opérationnel. Cela permettra de prendre en compte les nouvelles réalités qui s’imposent. En outre, les acteurs s’accordent à dire qu’il serait judicieux d’envisager une réhabilitation progressive des mines.

Situation environnementale déplorable

En clair, tant que les sites ne sont pas réhabilités, la situation environnementale des sites miniers demeure préoccupante. En cas de non-réhabilitation, les conséquences sont donc énormes. Ainsi, selon un expert de l’ITIE, la non-réhabilitation cause des problèmes pour les populations environnantes. Les bacs à résidus chargés de produits chimiques toxiques comme le cyanure, dit-il, peuvent contaminer la nappe phréatique et les trous béants menacent la sécurité physique des populations.

La mine de Kalsaka, dans la région du Nord, en est l’illustration. Fermée depuis 2013, la nonréhabilitation fait craindre le pire. Des animaux sont morts à l’intérieur du site qui a connu un saccage des populations, selon les témoignages de l’ancien maire. La mine de Poura est aussi une parfaite illustration. Elle n’a connu aucune réhabilitation depuis sa fermeture en 1999. Selon des témoignages recueillis sur place, les eaux souterraines de la ville de Poura ont été contaminées par des produits toxiques. Des dizaines d’animaux sont morts après avoir bu de l’eau contaminée. La mine de Zinc de Perkoa, celle d’or de Youga en arrêt risque de subir le même cas si la réhabilitation n’est pas effective. Pourtant, toutes ces mines ont versé leur cotisation au fonds de la réhabilitation. Mieux, Kalsaka et Essakane ont déposé respectivement en août 2015 et en novembre 2020 leur plan de réhabilitation auprès du ministère des Mines. Les dossiers de Kalsaka et de Essakane n’ont jamais été transmis à ce Comité, encore moins examiné. Ces 02 sociétés qui sont à jour de leur cotisation au fonds de réhabilitation et de fermeture des mines n’y ont pas accès pour débuter la réhabilitation.

Le manque de moyens est battu en brèche par une enquête réalisée en 2016 par les députés de la septième législature. Pour les députés, « les compagnies minières sont en deçà des réponses environnementales légalement et socialement attendues ». Et les députés de déplorer le fait que les ministères des Mines et de l’Environnement ne montrent aucune volonté réelle « à obtenir les mesures correctives nécessaires ».

Pire, du fait de la non-utilisation des fonds par l’Etat, certaines sociétés minières ont souhaité utiliser leurs fonds logés dans les banques pour la mise en œuvre de leur plan de gestion environnementale et sociale (PGES), ce qui est différent du plan de fermeture et de réhabilitation.

Ce manque de moyen financier est aussi battu en brèche par bon nombre d’observateurs du secteur minier qui estiment qu’il existe plusieurs moyens de financer le fonctionnement de ce Comité. Les services financiers du ministère de l’Environnement peuvent solliciter des ressources au titre des dépenses interministérielles du budget national. Il suffit d’en faire la demande au ministère des Finances ou de créer une ligne dans le budget de l’année.

Enquête réalisée par Aimé Kobo NABALOUM avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO).

Encadré :

Situation nominative des sociétés mines

Liste des Mines en fonction : Essakane SA, Houndé Gold, Mana, Boungou, Wahghion, Roxgold, Bissa Gold, Ymiougou, Orezone, Somisa, Karma

Liste des sociétés minières en situation d’arrêt Kalsaka mining SA, Semafo Burkina SA, Somita SA, Netiana mining Company, Société des mines de Belahouro (SMB), Bouere-Dohoun Gold Operation SA et Nantou mining Perkoa.



Parc W-Arly-Pendjari : un patrimoine mondial à la merci des terroristes

Depuis quelques années, des actions terroristes menacent les zones du complexe W-Arly-Pendjari (WAP), classé patrimoine mondial de l’humanité. Outre les menaces sur la faune, le complexe est devenu un lieu de passage de trafics divers dans lesquels des groupes armés et des agents de l’Etat sont cités. Une équipe de journalistes de la CENOZO a enquêté.

Vue partielle du Complexe WAP / Ph : DR

« Nous ne sommes plus en mesure de vous dire ce que ce parc est devenu ». L’aveu est de Aboubacar Salifou, un écogarde ayant longtemps séjourné dans le parc W au Niger. Il témoigne ainsi du triste sort du complexe du W-Arly-Pendjari, appelé « complexe WAP ». Selon un document fourni à la CENOZO par la Direction régionale de l’Environnement de l’Est au Burkina Faso, des centaines d’espèces végétales et animales vivent dans ce parc.

Aujourd’hui, ce complexe est sous la pression de plusieurs groupes terroristes qui s’y sont installés progressivement. A Fada, localité située à 130 kilomètres à l’est de la capitale du Burkina Faso, se trouve le siège du Mouvement africain pour les droits de l’environnement dans la région de l’Est (MADEE). C’est là que le 24 août 2023, un membre de notre équipe de journalistes a rencontré Alassane Nakandé, directeur exécutif de l’ONG. Ce dernier, un forestier de formation, connaît bien la situation et les lieux. Il avait l’habitude de travailler avec les populations installées aux abords du parc.

Par la force des choses, il est aujourd’hui obligé de travailler désormais à distance. Raison évoquée : l’occupation de la zone par les terroristes. L’alternative trouvée par le MADEE est le recrutement de “répondeurs locaux” qui lui font le point de la situation de la destruction de la biodiversité. Il confie que depuis 2019 son organisation a des difficultés d’accès à des zones comme Mandjoari, Tansarga, Tambaga. Ces communes de la région de l’Est (Burkina Faso) sont sous pression des groupes terroristes.

Cartographie des zones occupées par les groupes armés terroristes au sein du Parc, réalisée en 2022 dans le cadre du plan d’urgence sécuritaire du parc par le ministère en charge de l’Environnement du Burkina Faso.

Monsieur Nakandé brandit le lien d’une déclaration faite par son Mouvement en mai 2022 qui est adressée aux autorités de la Transition du Burkina. C’est une alerte sur la disparition de la biodiversité et surtout des éléphants dans le parc WAP.  « La viande des animaux sauvages était devenue moins chère et inondait les marchés de certains villages. Avec la pression des groupes terroristes, le braconnage s’est accentué et des populations s’en prennent à la faune. Ils tuent et font transiter la viande avec des taxis-motos vers le Niger et le Togo », explique-t-il avec tristesse.

International Crisis group a noté dans son rapport 310 du 26 janvier 2023 intitulé « Contenir l’insurrection jihadiste dans le Parc W en Afrique de l’Ouest », qu’une prise de vue aérienne dans le cadre d’une enquête réalisée en 2021 a dénombré quelque 63.000 têtes de bétail à l’intérieur du Parc W. Elle a également observé que la population d’éléphants était tombée à 4.046 contre 8.938 en 2015. Les mouvements des groupes armés impactent en effet la faune et occasionnent des déplacements des troupeaux d’animaux.

Des cas de mouvements ont été  signalés dans la préfecture de Tône au nord du Togo, selon un autre Commandant et conservateur de parcs. « Un autre élément qui agit sur la faune est le crépitement des balles. Étant habitués au calme de la forêt, ces animaux se sentent menacés quand résonne le bruit des armes », confie-t-il.

A titre d’exemple, il raconte : « Nous avons accueilli une horde d’éléphants, environ une vingtaine, dans la préfecture de Tône. Mais faute de moyens pour leur créer un environnement propice qui les retient, ils sont repartis peu après vers le complexe ». Il compare ces mouvements à ceux des humains qui fuient les zones de conflits et estime en définitive que la présence des groupes armés a des impacts négatifs sur la richesse de ces parcs.

Si les populations témoignent que l’accès est difficile depuis 2019, International Crisis Group souligne que, en 2018 des groupes terroristes de la Katiba Ansaroul Islam et de la Katiba Serma sont arrivés dans le parc W. L’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GITOC) a aussi noté dans son dernier rapport paru en mai 2023 que « les gardes du parc ont remarqué une recrudescence des activités des groupes armés au début de 2019 dans les parties du parc W situées dans l’est du Burkina Faso et l’ouest du Niger (bien que des combattants soient peut-être arrivés dans le Parc dès 2018) ».

Le Groupe de soutien aux musulmans et à l’islam ou Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM), Ansaroul Islam et l’État islamique de la province du Sahel (ISSP) sévissent aussi dans le complexe WAP. « Depuis fin 2019-2020, ces groupes opèrent dans la région de l’Est du Burkina jusqu’en territoire béninois et togolais dans le complexe WAP », selon l’ONG Armed conflict location and Event data project (ACLED). Une organisation qui répertorie les victimes des conflits dans le monde.

Cette présence des groupes terroristes est marquée par des attaques de postes forestiers et des campements touristiques. A Tillaberi, région située à l’ouest de la capitale nigérienne, précisément dans le parc du W et dans les dunes de Kareygoru non loin de Niamey, des établissements hôteliers sont aujourd’hui fermés pour cause d’insécurité liée au terrorisme.  « Ce qui a eu comme conséquence l’arrêt des activités et la mise au chômage du personnel dont la majorité est issue de la région », a expliqué à la CENOZO Oumarou Siddo, promoteur de l’Agence Croix du Sud.

Cartographie du complexe WAP / @ DR

La présence des groupes armés a contribué à affaiblir les capacités d’intervention des services forestiers. La surveillance dans les aires protégées n’est plus effective. En juillet 2023, un reporter de notre équipe a rencontré un lieutenant des Eaux et forêts burkinabè, victime des actions terroristes. Affecté dans la région de l’Est depuis 2013, il a vu avec peine l’arrivée des groupes armés terroristes dans le parc W.

Le forestier confie qu’aux premières heures du phénomène, des patrouilles étaient faites. « Mais, nos éléments n’ont plus la capacité de contenir les groupes terroristes qui se sont installés progressivement dans la forêt pour opérer des enlèvements. Nous avons un personnel très réduit avec des moyens de défense insuffisants », regrette-il.

Les terroristes ont multiplié les actions jusqu’à l’embuscade contre un bus transportant des travailleurs de la mine de Boungou, contrôlée par une société canadienne, en 2019, qui a fait 39 morts. Cette attaque va contraindre le forestier et ses hommes à abandonner leur position pour se retrouver à Fada, chef-lieu de la région de l’Est (Burkina Faso). Le Lieutenant a finalement quitté l’Est pour se réfugier à Ouagadougou depuis 2021.

Le Plan d’urgence de sécurisation du Complexe  WAP, élaboré par le ministère de la Transition écologique et de l’Environnement du Burkina Faso en janvier 2022, révèle que sur l’ensemble des 29 postes forestiers dont les trois départements de l’environnement de l’Est, six sont en permanence fonctionnels et sept fonctionnent par intermittence, car les agents ont dû abandonner les postes du fait de l’insécurité.    

Ces abandons de postes de services étatiques ont permis aux groupes terroristes d’occuper plusieurs espaces. C’est plus de 722 000 hectares qui sont sous occupation des terroristes, selon un rapport sur l’état d’occupation du parc WAP fait par la Direction régionale de la Transition écologique et l’Environnement de l’Est du Burkina Faso, en janvier 2022. Huit aires protégées, sur les treize que compte le Parc au niveau du Burkina sont contrôlées par les groupes armés terroristes.

Les populations dénoncent les mauvais comportements des gardes-forestiers

Affectés pour surveiller les aires protégées, des gardes-forestiers au Burkina Faso ont souvent exacerbé le ressentiment des communautés vivant autour de ces aires. Bien que rétribués par l’Etat ou des concessionnaires privés, il est rapporté des comportements proches de l’exploitation et des cas d’injustice qui ont contribué à radicaliser certaines communautés. Comme par exemple les amendes arbitraires infligées aux populations locales.

Un responsable de la sécurité et de l’accès pour les Nations Unies dans la région Est du Burkina cité dans le rapport de GITOC, indique qu’un garde-forestier peut couper la branche d’un arbre puis imputer cette coupe au premier berger qu’il trouverait à proximité de l’acte qu’il a lui-même posé, et ensuite lui infliger une sévère amende. « Cela a vraiment renforcé les tensions et contribué à radicaliser certaines communautés », lit-on dans le rapport de cet organisme de lutte contre le crime organisé.

S’il est vrai qu’il existe un soutien général des Etats riverains et leurs partenaires pour la préservation des ressources naturelles du complexe, il ressort toutefois que l’inégale répartition des avantages tirés de ces ressources cristallise les frustrations. Aux yeux des résidents du complexe, les avantages issus de la préservation sont loin de compenser les gains qu’ils en tiraient au temps de la libre utilisation des ressources de la réserve, indique le rapport de GITOC.

Avant la préservation du complexe, celui-ci était considéré comme une source de terres, de viande de brousse et de fourrage à haute valeur nutritive pour les animaux. Avec la préservation, le tourisme y est devenu une source d’emplois et des habitants pouvaient travailler dans le complexe comme gardes forestiers, éco-gardes, guides ou responsables de l’entretien des pistes. Des femmes ont initié diverses activités économiques comme la vente de produits forestiers tels que le beurre de karité, le miel sauvage et les fruits du baobab.

Au niveau du Burkina, toute cette zone occupée est soumise à la pression de l’homme via le braconnage, les empiétements agricoles, la transhumance illégale, la pêche illégale, l’orpaillage. Certes, aucune évaluation des dégâts n’a été faite par les autorités en charge de l’environnement du Burkina, mais des rapports décrivent une dégradation préoccupante des ressources forestières et fauniques.

Selon un soldat burkinabè rencontré à Bilanga, l’une des six communes rurales de la province de Bogandé à 140 kilomètres de Fada, chef-lieu de la région de l’Est, les « terroristes occupent les zones bien couvertes comme des refuges ». « Ils en profitent pour exploiter les mines d’or », ajoute-il. Ce soldat des Bataillons d’intervention rapide n’en dira pas plus, surtout en ce qui concerne la part de responsabilité des forces de défense et sécurité dans la destruction de la biodiversité au sein du parc.     

Les actions néfastes des populations locales sur les parcs combinées aux actes répréhensibles des gardes forestiers sont  accentuées maintenant par les contrôles des terroristes. Vers Diapaga, dans l’Est du Burkina, deux groupes armés cherchent à étendre leur influence vers les États côtiers. Le plus important d’entre eux est Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM) – un amalgame de groupes extrémistes violents, idéologiquement affiliés à Al-Qaïda. L’État islamique de la province du Sahel (ISSP) y est également actif, bien que ce soit dans une moindre mesure, selon GI TOC. Près du parc, il y a plusieurs sites d’or.

Site clandestin d’orpaillage / Ph : DR

L’exploitation de l’or par les groupes armés terroristes est connue des autorités burkinabè. C’est ainsi que lors du Conseil des ministres du 24 mai 2023, le Gouvernement a mis en place un groupe de réflexion pour faire des propositions d’actions pour « l’assèchement des financements du terrorisme à partir de l’exploitation minière artisanale ».

Plusieurs sources sécuritaires confirment qu’il existe une dizaine de sites d’exploitation artisanale d’or dans le complexe WAP. Après que les orpailleurs industriels y ont été chassés par les groupes armés, les mineurs artisanaux ont vu l’accès aux mines libéré, ainsi que le choix des acheteurs de l’or extrait. Dans la province de Kompienga au Burkina Faso, en bordure de la réserve de Pama (Burkina Faso), à l’extrémité ouest du complexe WAP, un groupe armé a chassé les concessionnaires de l’État auxquels les mineurs artisanaux locaux étaient obligés de vendre. Cela a permis aux exploitations minières à petite échelle de choisir des acheteurs pour leur or et d’augmenter potentiellement leurs marges bénéficiaires, rapporte GITOC.

La prise d’otages, une source de revenus pour les terroristes basés dans le Parc

Le complexe WAP et sa biosphère servent à cacher des otages en même temps qu’ils constituent une base arrière aux groupes armés. Les bois et les buissons rendant difficile la surveillance aérienne par les autorités des pays menacés et ces groupes s’en servent pour s’y cacher. D’après des témoignages des éco gardes, « les enlèvements par les combattants du JNIM sont fréquents et les otages sont souvent emmenés à leurs bases dans les zones du parc national pour décourager les frappes aériennes sur leurs positions stratégiques ». Cette biosphère sert également de base logistique importante pour leur réapprovisionnement.

Un conservateur de parcs du nord du Togo explique que la présence des groupes armés a fait fuir nombre d’agriculteurs qui ont abandonné leurs terres pour des régions moins risquées. « Nous avons vécu ces situations en live avec par exemple un petit garçon de  huit ans qui trimbalait sa grand-mère. Selon leurs propos, ils ont quitté leur village sans rien emporter », raconte-t-il.

Cette situation, poursuit le conservateur, a poussé le Togo à interdire la transhumance à travers les zones interétatiques : « Les terroristes s’assimilent aux populations pour s’attaquer aux forces armées du pays. Ils donnent l’impression d’être des bouviers, mais en réalité, ce sont des terroristes déguisés. Raison pour laquelle, lorsqu’on vous surprend dans cette zone, on vous saisit tout. La transhumance est interdite, sauf celle interne qui concerne les sédentaires ».

Une vue des animaux à l’intérieur du Parc W du Niger / Photo : MateosH40

Des éleveurs s’entendent avec des groupes armés au nord-est du complexe pour tirer avantage des pâturages, comme l’a rapporté un agent des eaux et forêts de Falmey au sud-ouest du Niger : « des transhumants sont complices des djihadistes qui prennent leur zakat et les laissent paître leurs bêtes dans le parc. Notre collègue, enlevé à Tapoa par des djihadistes il y a six mois, raconte que tous les matins, ils livrent du lait aux djihadistes dans des bidons. Les djihadistes prennent la zakat, mais ils les rassurent en leur garantissant la sécurité pour que nous les agents, ne les dérangeons pas ». Des propos confirmés par le Commandant Kpidiba Bonaventure dans les bureaux du Lieutenant-Colonel Adjei-Toure Issobou, Chef Division des aires protégées et de la faune au Togo.

Des sources locales affirment que le groupe s’oppose au braconnage et à la chasse excessive pour des motifs religieux, et a cherché à éliminer cette activité illicite du parc. Sur une base similaire, le groupe a également découragé l’abattage d’arbres pour la contrebande de bois et la production locale de charbon de bois. Des habitants autour du complexe affirment que les groupes armés ne se livrent pas au braconnage commercial, mais chassent spécifiquement certains types d’animaux, surtout pour leur subsistance.

Toutefois, il a été rapporté dans la région des trois frontières du Liptako-Gourma, commune au Mali, au Burkina et au Niger dans certaines communautés vivant aux abords du Complexe, que des groupes armés ont parfois protégé des braconniers en échange du paiement de la zakat. La particularité de la région du Liptako-Gourma réside dans le fait qu’elle est constituée de zones particulièrement enclavées et des plus déshéritées des trois pays.

Ce n’est plus un secret que le complexe WAP est devenu une vaste zone de contrebande : cigarettes, produits médicaux et autres articles contrefaits et de qualité douteuse y transitent. Un douanier béninois confie également l’existence d’un grand marché pour les motos, les pièces détachées et autres biens plus banals, tels que les vêtements et les articles ménagers. Mais c’est surtout la contrebande de carburant qui est la plus répandue, ce produit étant vital pour les groupes armés. Le fleuve Niger se révèle d’une importance réelle dans le trafic.

Un gendarme de la ville nigérienne de Gaya à la frontière avec le Bénin est formel : allez à moto au bord de l’affluent du fleuve et faites semblant de passer. Vous verrez comment les drogues traversent la rivière, et de l’autre côté, il y en a d’autres qui attendent chaque jour pour passer au Niger ».

Le même agent décrit la multiplication de débarcadères le long du fleuve : « une série de nouveaux quais et débarcadères étaient en cours de construction par des contrebandiers dans les villages de chaque côté du fleuve Niger, près des bords du parc W, apparemment en prévision de volumes élevés de marchandises passées en contrebande en provenance du Nigéria, du Bénin et du Ghana ». Le rapport de mai 2023 de la GI TOC atteste que la contrebande de carburant est répandue dans le complexe et ses zones environnantes, et des personnes à tous les niveaux de la société y sont impliquées.

Des riverains rescapés ayant fui les abords du Complexe ont certainement été témoins de situations de destruction et d’exploitation des ressources des forêts.  Malheureusement la zone reste interdite d’accès, y compris pour les journalistes.

Enquête réalisée par Frank POUGBILA (Burkina Faso), Ibrahim Manzo DIALLO (Niger) et Godson KETOMAGNAN (Togo), avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO).

Encadré : Confidences d’un ex-otage des terroristes

« Il a commencé à me frapper devant les gens. Il me traitait de traître, de corrompu, d’ennemi de ma communauté… », raconte un ancien otage des terroristes
J’ai peur de vous parler de ces gens-là (Ndlr : les terroristes) mais vous m’avez convaincu que si je le fais, c’est pour la bonne cause. Voilà, je suis originaire d’un village situé non loin du Parc W. Je connais le Parc comme le fond de ma poche. Avant, je travaillais comme garçon de courses au profit des agents du Parc du W qui étaient basés au village de Tamou, à l’entrée du Parc. J’étais leur enfant, un peu comme leurs « oreilles et yeux » dans les villages avoisinants. Je leur rapportais des informations et en même temps, j’écoulais sur les marchés ruraux ce que ces agents avaient en abondance : « les pintades, les œufs et des fois de la viande de brousse. Je brûlais avec leur permission du bois sec pour faire du charbon prisé dans les grandes villes comme Niamey ». « Tout allait bien, jusqu’au 4 décembre 2020 quand aux premières heures de l’aube, des motos aux guidons desquelles des hommes armés ont attaqué la base des forestiers de Tamou. Les agents ont vaillamment riposté mais le feu de l’ennemi était plus intense et au bout de 30 à 40 minutes de combats, tout s’était calmé. Nous avons tenté de fuir mais nous étions encerclés. Ils ont tué deux gardes et les autres ont pris la fuite. Ils ont juré de tuer celui qui bougerait. Au cours du contrôle, un terroriste que je connais car originaire du village de Alfakoara m’a appelé et a commencé à me frapper devant les gens. Il me traitait de traître, de corrompu, d’ennemi de ma communauté. Après, les terroristes ont intimé l’ordre à tous les villageois de se disperser et d’aller chez eux. Quant à moi, ils m’ont dit de porter des bagages abandonnés par les gardes forestiers et de les suivre. C’était de la nourriture. On a marché pendant plusieurs heures, jusqu’à une rive et on a traversé en pirogue. Quand nous étions arrivés, il faisait déjà nuit. Nous nous étions cachés là pour manger. On n’a pas allumé le feu au cas où l’on nous suivrait. Les arbres touffus nous ont protégés toute la nuit. Wallahi, les terroristes ne veulent pas qu’on touche aux arbres. Mais les animaux, ils les tuent par dizaines. Ils ne tirent pas sur eux. Ils les attrapent avec des pièges traditionnels. Hé, ces gens sont très malins et informés. Ils ne restent pas ensemble au même endroit. Ils bougent beaucoup et ce qui m’avait surpris, c’est le fait qu’ils enterrent leurs armes et leurs motos. Des fois, même dans l’eau, emballées dans des bâches en plastique. J’étais resté 9 mois avec eux avant que je ne sois libéré parce qu’un de mes parents a appris que j’étais vivant et gardé par ces gens-là. Il m’a dit de venir rester avec lui. Ces gens ne se rassemblent pas tous les jours. Quand ils ont une action à faire, ils se retrouvent dans le parc et reprennent leurs armes.




Concassage de granite à Parakou : Entre survie et risques sanitaires

Le Bénin, à l’instar des autres pays de l’Afrique de l’Ouest aspire à l’émergence. Depuis son accession à la souveraineté nationale et internationale jusqu’au renouveau démocratique, en passant par la période révolutionnaire, des gouvernements se sont succédés et ont travaillé à mettre le pays sur la voie du développement.

Casimir Nanlomè

Cependant, l’épineux problème qui demeure est celui du sous-emploi et du chômage des jeunes. Ils sont plus nombreux aujourd’hui, ces hommes et femmes qui tentent de joindre les deux bouts en pratiquant des activités indécentes et à hauts risques.

Travailler et vivre au péril de sa santé, c’est le choix difficile que sont obligés de faire ces centaines de citoyens à Parakou qui, au lever du soleil, prennent d’assaut la carrière de granite située à l’ouest du périmètre de reboisement à la sortie Sud de la ville de Parakou.

Marie Kouagou, la quarantaine, est originaire de l’Atacora, et exerce l’activité de concassage depuis 4 ans sur la carrière de granite à Parakou. À l’instar de dame Marie, de nombreux jeunes et parfois adolescents, s’y consacrent. Brûler, concasser et ramasser les pierres, c’est ce à quoi s’attellent au quotidien ces hommes et femmes que l’équipe du Journal Santé Environnement est allée rencontrer au petit matin de ce samedi 11 novembre 2023 au quartier Kpébié à Parakou.

Le travail que font ces braves hommes et femmes comporte de grands risques. Des risques à prendre pour survivre. « Nous souffrons beaucoup ici. Mais puisque nous n’avons pas d’autres choix, nous sommes obligés de venir chercher ce qu’il faut pour nous nourrir », a confié dame Marie Kouagou. Dans cette tâche, dame Marie se fait aider par son jeune garçon Charlemagne qui, lui aussi, fait la douloureuse expérience du marteau aux côtés de sa mère. « Le marteau fait mal à la main. Quand on rentre à la maison les soirs, on chauffe l’eau en y ajoutant du sel, et on introduit nos mains dedans. Ça nous permet de calmer la douleur », a-t-il laissé entendre.

Marie Kouagou

Malgré les risques liés à cette activité, la majorité des acteurs exerçant sur la carrière de granite ne dispose pas de matériels de protection et se voit ainsi exposée à de nombreuses maladies. A en croire Casimir Nanlomè, massier chargé du concassage des grosses pierres, la majorité de ceux qui exercent cette activité souffrent fréquemment du paludisme. Les hommes, en particulier, voient leur hernie prendre du volume, les empêchant de poursuivre l’activité, a confié Casimir Nanlomè. « Il y a ceux qui souffrent du paludisme et de la toux du fait de la poussière et de l’exposition au soleil », a ajouté Marie Kouagou.

Des travailleurs sur le site de concassage
Site de concassage

Selon les spécialistes de la santé, ces travailleurs courent le risque d’une infection respiratoire, de troubles auditifs, de blessures et traumatismes, ainsi que d’une pneumoconiose silicotique, qui est une maladie pulmonaire grave. Autant de risques que prennent ces compatriotes, loin des regards bienveillants et laissé à leur triste sort. « L’activité n’est pas rentable, mais nous n’avons pas d’autres choix. Quand nous tombons malades, les patrons n’arrivent pas à nous aider. Nous nous débrouillons nous-même pour nous en sortir », a confié Casimir Nanlomè. Dans ces conditions, l’autorité municipale est interpellée. Ces concasseurs de granite demandent le soutien des autorités de la mairie de Parakou, afin que leur soient mis à disposition des matériaux de protection adaptés à leur activité.

Le gouvernement quant-à-lui, devra intensifier et étendre ses actions sociales au profit de cette couche vulnérable de citoyens, afin que celle-ci bénéficie également de bonnes conditions de travail, tel que recommandé dans la Constitution en son article 30, qui dispose que : « L’Etat reconnaît à tous les citoyens le droit au travail et s’efforce à créer les conditions qui rendent la jouissance de ce droit effective et garantissent au travailleur la juste rétribution de ses services ou de sa production. »

Faut-il le rappeler, en travaillant à améliorer les conditions de travail de ces compatriotes, le Bénin réalise ainsi l’ODD 8, celui de promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein-emploi productif et un travail décent pour tous.

Bénin, like other West African countries, aims for development but struggles with youth underemployment and unemployment. Many citizens are compelled to do risky, dangerous jobs, such as the granite quarry workers in Parakou, who lack protective equipment and expose themselves to numerous diseases. They are appealing for government assistance and social support for better working conditions.

Venance Ayébo TOSSOUKPE 




Le corps sans vie d’un nouveau-né béninois découvert dans une machine à laver

Depuis le mardi 25 juillet 2023, une découverte macabre secoue l’hôpital Abass Ndao de Dakar. Un jeune couple béninois victime d’une tragédie. L’histoire bouleversante a commencé le dimanche 23 juillet 2023, lorsque la mère, Véronique N. a été admise à l’Hôpital Abass Ndao pour accoucher prématurément d’une petite fille, seulement âgée de 33 semaines. Malgré la naissance prématurée, les résultats médicaux ont indiqué que l’enfant se portait bien et qu’elle n’était en aucun cas infectée.

Les jours suivants semblaient prometteurs, jusqu’à ce que le mardi 25 juillet, un tournant tragique survienne. La mère, désireuse d’allaiter son nouveau-né, a été informée qu’elle devait attendre un moment pour le faire. Cependant, après avoir attendu jusqu’à 12h16 sans pouvoir nourrir son bébé, elle a alerté son époux, qui s’est précipité à l’hôpital.

Une fois arrivé à l’hôpital Abass Ndao, le père, Jean K. a demandé à voir le corps de son bébé, mais il a été informé que le corps avait déjà été emmené à la morgue de l’hôpital CTO pour une autopsie. La police scientifique était déjà intervenue et avait pris en charge l’affaire sans en informer les parents au préalable. Pendant plusieurs jours, les parents ont lutté pour obtenir des informations sur l’état de leur bébé sans suite.

Le récit du père est poignant : « J’ai attendu plus de deux heures avant qu’on me fasse part du décès de notre bébé. Lorsque j’ai demandé à voir le corps, on m’a dit qu’il avait déjà été emmené à la morgue de l’hôpital CTO pour une autopsie sans nous avoir informés au préalable. »

Le pire était encore à venir. Le corps du nouveau-né avait été retrouvé dans une machine à laver à l’hôpital Abass Ndao. Il a été lavé pendant un programme de 30 minutes à 90 degrés, laissant son corps complètement détruit, méconnaissable, et laissant présager une mort atroce. Les parents sont maintenant confrontés à l’angoissante attente pour savoir si ce sont les restes de leur propre enfant qui ont été découverts dans la machine à laver ou non.

Le manque de transparence et le comportement soupçonné des acteurs de cette louche affaire ont soulevé de nombreuses interrogations. Pourquoi le corps du bébé a-t-il été retrouvé dans une machine à laver ? Comment cela a-t-il pu se produire sans que personne ne s’en aperçoive ? Les parents demandent des réponses et appellent à une enquête approfondie et impartiale pour déterminer les circonstances exactes de la mort de leur enfant.

L’affaire soulève également des questions sur les protocoles de sécurité et de suivi des nourrissons au sein des établissements de santé du pays. Des mesures strictes doivent être prises pour garantir la sécurité des patients les plus vulnérables et éviter de tels drames à l’avenir.

Face à cette tragédie et à la souffrance insoutenable des parents, la famille a décidé de mener ses propres investigations pour faire la lumière sur cette affaire troublante. Ils lancent un appel désespéré à la communauté pour soutenir leur quête de justice et de vérité, afin que de telles négligences et horreurs ne se reproduisent plus jamais dans l’histoire des hôpitaux au Sénégal.

Dans un contexte où le trafic de bébé est devenu récurrent dans les hôpitaux d’Afrique, il urge de rester éveillé jusqu’à la manifestation de la vérité. Le peuple sénégalais et béninois sont aussi appelés à se rassembler autour de ce jeune couple victime et à soutenir leurs efforts pour obtenir justice. Une enquête approfondie serait en cours pour déterminer les responsabilités. Cette malheureuse situation doit être une impulsion pour améliorer les soins de santé et prévenir toute récidive dans ce pays.

Megan Valère SOSSOU




Alerte de l’OMS: Un lot de Sirop Médicinal de qualité inférieur et contaminé, identifié

Une alerte produit médical émise par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) met en garde contre un lot de sirop médicinal de qualité inférieure et contaminé, identifié au Cameroun. Le sirop en question, baptisé NATURCOLD, est utilisé pour soulager les symptômes associés au rhume, à la grippe et à la rhinite allergique.

Les principes actifs déclarés de ce sirop sont le paracétamol, le chlorhydrate de phényléphrine et le maléate de chlorphéniramine. Cependant, des analyses réalisées par un laboratoire préqualifié par l’OMS ont révélé la présence inacceptable de diéthylèneglycol dans des échantillons du sirop NATURCOLD provenant du Cameroun. Jusqu’à 28,6 % de diéthylèneglycol ont été détectés, dépassant largement la limite acceptable de 0,10 %.

L’OMS met en garde contre les dangers liés à la consommation de ce produit de qualité inférieure, qui peut être toxique et potentiellement mortel pour les humains. Les symptômes d’une intoxication au diéthylèneglycol peuvent inclure des douleurs abdominales, des vomissements, une diarrhée, des céphalées et des lésions rénales aiguës pouvant entraîner le décès, en particulier chez les enfants.

L’exploitant déclaré du produit, FRAKEN INTERNATIONAL (Angleterre), n’a pas pu être confirmé par l’autorité nationale de réglementation du Royaume-Uni, la MHRA. Des enquêtes sont en cours pour déterminer l’origine du sirop contaminé.

L’OMS attire l’attention des autorités de réglementation et du public sur la nécessité de ne pas utiliser le produit concerné et de signaler toute réaction indésirable ou effet secondaire éventuel à un professionnel de santé. Il est essentiel de renforcer la surveillance des chaînes d’approvisionnement et des marchés informels pour éviter la distribution de produits médicaux de qualité inférieure et contaminés.

Les fabricants de médicaments sous forme liquide, en particulier les sirops, sont appelés à effectuer des analyses rigoureuses pour détecter tout contaminant potentiel avant d’utiliser ces excipients dans la formulation des médicaments.

Face à cette alerte, les autorités sanitaires nationales sont invitées à informer immédiatement l’OMS si ces produits de qualité inférieure sont découverts dans leur pays, afin de prendre des mesures appropriées pour protéger la santé publique. La vigilance de tous est requise pour faire face à cette situation préoccupante et préserver la santé et le bien-être des populations.

Megan Valère SOSSOU




Drépanocytose au Bénin : Une lutte sans relâche contre une maladie inguérissable

Elle a fait de son existence, un combat acharné contre la drépanocytose. Marilyne Bango, la regrettée, a souffert de la forme la plus sévère de la drépanocytose. Une maladie génétique qui affecte les globules rouges. Cette jeune femme qui n’a pas demandé à naître avec cette maladie, a vécu constamment dans une douleur insoutenable et avait développé de graves complications.

Des forces majeures qui ont eu un impact dévastateur sur sa vie sociale, la forçant à abandonner ses études supérieures et son emploi. Sa mère, son unique soutien, a épuisé toutes ses économies pour assurer les frais d’hospitalisation de sa fille, qui était en proie à des souffrances inimaginables.

Malheureusement, Marilyne Bango a perdu la vie dans cette bataille. Elle a profondément marqué le cœur des Béninois. L’histoire de cette jeune dame rappelle la nécessité de lutter contre la drépanocytose au Bénin, où le mal est devenu une préoccupation majeure de santé publique.

Selon les estimations, près de 25 % de la population béninoise porte le gène de la drépanocytose, et environ 2 % des nouveau-nés sont atteints de la maladie. Pourtant, la drépanocytose reste souvent méconnue et négligée par le grand public, ainsi que par les autorités sanitaires.

Un système de santé handicapé

Au Bénin comme dans de nombreux pays africains, les systèmes de santé sont fragiles et présentent des défis considérables. Les ressources limitées, les infrastructures médicales insuffisantes et le manque de sensibilisation rendent la lutte contre la drépanocytose encore plus difficile. Les familles touchées par la maladie sont souvent confrontées à des difficultés financières pour accéder aux soins médicaux et aux traitements nécessaires.

Comme Marilyne, ils sont nombreux ces patients atteints de drépanocytose à endurer une vie de souffrance et d’invalidité. Les crises vaso-occlusives, qui provoquent des douleurs intenses sont débilitantes et récurrentes. Quant aux enfants atteints de drépanocytose, ils ont un risque accru de retard de croissance, de retards scolaires et d’infections. La maladie a également un impact économique important, car elle entraîne une diminution de la productivité et un fardeau financier accru pour les familles.

Malgré ces nombreux défis, le gouvernement du Bénin a entrepris des actions pour améliorer la prise en charge de la drépanocytose. Des centres spécialisés ont été mis en place dans différentes régions du pays pour fournir des soins médicaux et un soutien psychosocial aux patients. Des programmes de dépistage néonatal ont également été lancés pour identifier les nouveau-nés atteints de la maladie dès les premiers jours de leur vie.

Poursuivre le combat de Marilyne

Avant sa mort, Marilyne n’avait pas perdu le courage à sensibiliser ses proches. Elle partage son histoire avec réalisme et ouverture d’esprit. Une marque qu’elle a imprimée de son vivant. La sensibilisation et l’éducation sont des éléments essentiels pour lutter contre la drépanocytose qu’elle prônait.

Rappelons qu’il existe des organisations non-gouvernementales et des associations de patients qui travaillent activement pour faire connaître la maladie, réduire la stigmatisation et fournir un soutien aux familles touchées. Il est donc crucial de continuer à investir dans la sensibilisation, les services de santé et la recherche pour apporter un soulagement à ceux qui vivent avec la drépanocytose et espérer un avenir meilleur pour les générations futures.

Megan Valère SOSSOU




Le PAPC : un assainissement pluvial aux dépens de l’environnement ?

Le Programme d’Assainissement Pluvial de Cotonou (PAPC), d’un coût astronomique de 264 milliards FCFA, prétendait être la solution définitive aux inondations qui ravagent la ville de Cotonou. Cependant, de sérieuses préoccupations concernant la préservation de la biodiversité ternissent la vision de ce programme, en particulier en ce qui concerne le troisième bassin appelé « PA3 » situé dans le quartier Vèdoko. Des écologistes accusent le PAPC et ses exécutants de commettre un crime environnemental.

Les habitants de la localité de Zézoumè, dans le quartier Vedoko à Cotonou, font face à une situation sans précédent. En effet, les derniers refuges des espèces vivantes sont en train d’être détruits, ce qui entraîne l’invasion des populations par des espèces qui étaient auparavant paisibles dans leur habitat naturel. En effet, il s’agit de l’une des dernières réserves de biodiversité de la ville de Cotonou.

Le programme, mis en œuvre par la Société des Infrastructures Routières et de l’Aménagement du Territoire (SIRAT S.A.), participe au déséquilibre de cet écosystème de manière alarmante.

Des nids de tortues d’eau douce sont saccagés, des reptiles et des varans sont abandonnés à leur triste sort. Ce crime se déroule sous les yeux de la communauté scientifique, des experts techniques et des responsables politico-administratifs.

Alfred HOUNGNON, quant à lui n’est pas resté bouche bée. Le spécialiste de la valorisation de la biodiversité patrimoniale et de la mobilisation citoyenne et président de l’ONG AGIR, estime que, pour assurer la durabilité du projet, celui-ci doit prévoir la capture, l’inventaire des espèces, des mesures de préservation et le relâchement des espèces après l’achèvement du projet. Selon lui, un projet d’assainissement pluvial devrait inclure l’ouverture des voies fluviales qui respectent le vivant.

De nombreuses préoccupations assaillent les défenseurs de l’environnement.

Est-ce qu’une étude d’impact environnemental a été réalisée pour ce projet soi-disant « environnemental » ? Si oui, où sont les résultats ?

Quelles mesures ont été prévues pour préserver les espèces dans les quatre bassins centraux du programme ?

Est-ce que l’Agence Béninoise pour l’Environnement et le Ministère du Cadre de vie sont au courant de ce crime qui remet en question leur légitimité même ?

La responsabilité sociétale de l’entreprise HNRB, chargée des travaux, ainsi que de ses organismes de contrôle, à savoir SCET TUNISIE et ACEP / LINER ENVIRONNEMENT, est sérieusement remise en cause.




Bassin du fleuve Niger : inondations dévastatrices à Malanville, où sont passés les milliards investis ?

Depuis 2007 à Malanville, une ville située à l’extrême Nord-est du Bénin, à la frontière du Niger, des inondations emportent chaque année des humains, des bétails et des habitations ; laissant derrière elles, désolations et scènes de chaos. Pourtant, plusieurs projets sont financés à coups de milliards par des institutions internationales, pour des résultats très peu satisfaisants. Entre l’absence d’ouvrages de protection des habitations et l’inefficacité du système d’alertes de prévention des inondations, les populations de Malanville portent leur croix depuis plus de 10 ans.

Sur le fleuve Niger, Crédit Photo : Megan Valère SOSSOU

Début septembre 2017, Zoulémiatou, la quarantaine, a tout perdu. Cloîtrée avec ses sept enfants orphelins dans une pièce précaire en pailles, la désormais veuve, larmes aux yeux, peine encore à croire que le fleuve qui lui a tant donné, en vienne à tout lui prendre.

À Garou-Tédji, un village de la commune de Malanville à l’extrême Nord-Est du Bénin, il y a cinq ans, les inondations ont emporté son époux. Elle ne reverra jamais son corps. Non plus, la vingtaine de tonnes de produits agricoles en réserve, une épargne d’argent de plus de 800 000 F CFA, représentant deux années d’économie, soit 24 mois de travail, une habitation de trois cases, un bétail d’une vingtaine de têtes de moutons, le tout emporté par les eaux débordées du fleuve Niger. Dévastée, Zoulémiatou n’a plus de mot pour décrire la catastrophe qui a frappé sa famille en septembre 2017.

Selon les chiffres communiqués par l’actuel maire de la commune de Malanville, Gado GUIDAMI, rien que pour l’année 2020, dix mille trois cent vingt-et-une (10 321) personnes ont été victimes des inondations dans onze (11) villages. Pire, huit (08) personnes ont péri par noyade et deux mille cent-seize (2.116) hectares de cultures ont été ravagés, sans compter les habitations démolies. C’est l’équivalent du quart de la superficie totale de Cotonou, capitale économique du Bénin.

À Kotchi, un petit village enclavé de Malanville, les dégâts sont bien plus perceptibles au point où l’espoir de continuer à y résider s’amincit au jour le jour. Le lundi 30 août 2021, en pleine saison pluvieuse et donc inondation, quatre adolescentes ont perdu la vie au cours d’une traversée en pirogue alors qu’elles revenaient de ce village. Il y a plus d’une décennie déjà que ces inondations sont entretenues par des facteurs aussi bien naturels qu’anthropiques dans la commune de Malanville.

Une combinaison de causes climatiques et anthropiques

Plusieurs acteurs à Malanville pointent du doigt l’action de l’Homme à travers la déforestation excessive en faveur des activités agricoles et le changement climatique comme principales causes liées aux inondations cycliques.

Théodore ADJAKPA, géographe environnementaliste, auteur de plusieurs études scientifiques sur les inondations dans le bassin du fleuve Niger, soutient que les populations à la recherche de terres agricoles ont contribué excessivement à la déforestation en occupant les zones inondables du bassin du fleuve Niger. Une situation qui a occasionné l’ensablement du fleuve. « Le bassin a perdu une bonne partie de son couvert végétal, exposant ainsi les sols nus à l’érosion hydrique et éolienne » a-t-il expliqué. Ce qui aurait entraîné de forts ruissellements et de faibles infiltrations.

Une réalité confirmée par une étude scientifique intitulée « Fleuve Niger et les changements climatiques » qui a indiqué que les débits maximaux annuels du fleuve Niger ont fortement diminué, passant de 41 % avant 1970 à 23 % de nos jours. En effet,  l’ensablement, favorisé par la dégradation du couvert végétal des versants de la vallée, tapit le fond du fleuve et réduit le rythme de circulation favorable aux crues.

Pour le géographe-environnementaliste, le facteur principal des inondations dans le bassin du Niger demeure la concentration des précipitations saisonnières sur une saison pluvieuse dont la durée se réduit d’année en année. Autrement dit, le changement climatique  se manifeste par une mauvaise répartition des pluies avec une réduction très perceptible de la saison pluvieuse, augmentant ainsi l’agressivité climatique sur un sol faiblement couvert. À l’en croire, cette situation est favorisée également par la sécheresse récurrente, observée au cours des années 1970 et 1980.

Aussi, a-t-il ajouté, la hauteur importante des pluies au mois d’août avoisinant 255 mm en moyenne et la forte pluviométrie en amont du fleuve du Niger en Guinée entraînent des inondations catastrophiques dans le bassin du fleuve Niger. Et pourtant, depuis le début des inondations en 2007, un montant global de plus de 25 milliards de Francs CFA a été englouti dans divers projets censés prévenir les catastrophes.

Malanville, Crédit photo : Megan Valère SOSSOU

Pluie de milliards sur Malanville

A Malanville, les projets censés protéger les populations se sont succédés, mais aucun ne s’est jamais donné pour mission de construire un ouvrage capable d’endiguer les inondations. Inoussa DANDAKOUE, Maire de la commune de Malanville de 2015 à 2020, reconnaît les dysfonctionnements : « La plupart des projets qui sont intervenus, je ne les vois pas aller loin. Parce que leurs actions ne sont pas suivies. Ceux qui sont censés appliquer les actions ne les conçoivent pas bien ».

Pour l’actuel Maire, Gado GUIDAMI, il y a un certain cafouillage dans la réalisation des projets, ce qui a entraîné une absence d’efficacité. « Une bonne partie des interventions des projets ou ONG vient pour secourir. Aucun projet n’a été spécifiquement dédié à la lutte contre les inondations dans la commune », nous a-t-il confié.

À en croire Yacoubou TOROU, Responsable Risque et Catastrophe à la mairie de Malanville, plusieurs projets sont intervenus, notamment le projet Système d’Alerte Précoce (SAP-Bénin). Initiées suites aux dégâts causés par les inondations en 2010, ce projet a pour objectif de renforcer les capacités de surveillance météorologique, climatique et hydrologique, afin de créer des Systèmes d’alerte précoce (SAP) et d’information pour répondre à des conditions météorologiques extrêmes et planifier l’adaptation au changement climatique au Bénin.

Financé en 2013 par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et le Fonds pour l’Environnement Mondial, ce projet a englouti 9 255 774 500 de FCFA pour  un résultat mitigé. Selon le rapport final du projet que nous avons consulté, le développement de conseils hydrologique/climatologique/météorologique répondant aux besoins d’acteurs socio-économiques n’a pas été réalisé et toute une série d’outils et études non réalisées (partenariat SAP-Communes absent, Portail d’accès libre aux données et informations et plate-forme mobile-phone de conseils agricoles non réalisé, étude portant sur les Proportions des populations (H/F) utilisant les alertes et informations climatiques non disponibles…).

Comme la famille de Zoulémiatou qui a tout perdu, les alertes sont nécessaires pour les personnes vulnérables (activités agricoles dans les lits des cours d’eau, pêcheurs artisanaux, populations vulnérables avec constructions précaires le long des cours d’eau, villages de pêcheurs). Selon le rapport final du projet, « les activités de communication et sensibilisation des populations ont été minimes durant le projet« . « Les activités du projet n’ont pas un impact direct sur les populations« , précise le rapport.

Le projet a prévu la réalisation et la diffusion, via des radios locales, des messages d’alertes en langues locales, pour prévenir les populations des risques d’inondations. Mais, la ville de Malanville ne disposait pas de radio locale. Aucun des experts ayant travaillé à l’élaboration du projet ne s’en est rendu compte. Finalement, c’est la Radio Fara’a FM de Gaya au Niger près de la frontière du Bénin et la Radio du service public (Ortb) dont l’antenne régionale est située à près de 300 km de Malanville, qui ont servi de canaux de diffusion de messages d’alertes, mais ceci sans un réel impact. En témoigne le rapport d’évaluation du dispositif de production et de diffusion des alertes aux inondations du fleuve Niger qui conclut que : « l’absence de radios locales qui émettent en langue compréhensible par les populations riveraines a affecté négativement la réussite du dispositif d’alerte ».

Osséni Gayouga est riziculteur à Monkassa, l’un des villages les plus vulnérables aux inondations à Malanville. Il déplore : « Chaque année, les eaux nous surprennent toujours. Aucune alerte n’a rien prévenu ici. Comme on n’a jamais su quand elles venaient, on ne sait jamais quand elles devraient aller ».

Dans la même commune, en dehors du projet SAP Bénin, un autre projet financé par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) censé lutter contre les effets du changement climatique, a été déployé, sur quatre ans. Plus de 07 milliards de FCFA y sont passés, sans que les objectifs fixés soient atteints.

Riziculture de contre saison à Bodjécali, Crédit Photo : Megan Valère SOSSOU

Dans le même bassin, la Banque Africaine de Développement (BAD) a financé un Programme pour lutter contre l’ensablement du fleuve Niger. Intitulé Programme Intégré de Développement et d’Adaptation au Changement Climatique dans le bassin du Niger (PIDACC), il est mis en œuvre par l’Autorité du Bassin du Niger, une institution créée en 1980 pour assurer un développement intégré du bassin et promouvoir la coopération entre les 09 pays traversés par le fleuve Niger (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Nigéria et Tchad).

Ce programme dont la première phase a amorcé la lutte contre l’ensablement et l’érosion hydrique à l’échelle du bassin a connu une seconde phase. D’un budget de plus de 09 milliards, cette deuxième phase vise à préserver les écosystèmes du bassin à travers la réduction de l’ensablement du fleuve Niger. Trois ans après son lancement, ce projet, censé prendre fin en 2025, connaît jusqu’en 2022 des résultats qui sont très loin des attentes sur le terrain. Le taux de décaissement en est encore à 1 % à la date du 25 janvier 2022, selon le rapport de l’équipe du programme.

Encore faut-il noter qu’au sein du même projet, des conflits de compétence au niveau de certaines équipes de mise en œuvre ont conduit à la démission de plusieurs cadres du programme. Cette léthargie est partagée par tous les acteurs intervenants dans ce projet, à partir de la Banque Africaine de Développement (BAD), jusqu’aux unités de gestion du programme dans chacun des pays sous tutelle de l’Autorité du Bassin du Niger, selon le même rapport.

Worou Wara ADAMOU, Coordinateur National du PIDACC au Bénin explique : « C’est vrai qu’il y a eu des cascades de démission. Les raisons sont liées au traitement salarial et aux avantages directs des cadres. » A l’en croire, le faible taux de décaissement enregistré se justifierait par le retard accusé dans le recrutement et les travaux des bureaux d’étude. Conséquence, les populations continuent de faire face impuissamment aux inondations destructives et fatales au vu et au su des pouvoirs publics qui y accordent très peu d’attention et d’actions probantes.

« Ce que je suis venu voir est ahurissant, alarmant »

À la suite des inondations de 2015, Placide AZANDE, le ministre de l’Intérieur du gouvernement de Boni YAYI, s’était rendu le mercredi 16 septembre 2015 au chevet des populations de la commune de Malanville. Il a, pour l’occasion, annoncé que le génie militaire se mettrait à l’œuvre pour construire des digues afin d’éviter de nouvelles inondations. Une promesse politique jamais tenue, après quoi, les inondations continuent de dicter leurs lois.

Cinq ans après, et à la veille de l’élection présidentielle de 2021, une tournée parlementaire a été conduite par l’actuel président de l’Assemblée nationale, Louis Gbèhounou Vlavonou. Il est allé à la rencontre des populations victimes d’inondations à Malanville. Face aux nombreuses préoccupations exprimées, le Président de l’Assemblée Nationale a répondu : « … Je pourrai porter directement la voix des sans voix que je suis venu voir, en personne au chef de l’État. Je pourrai lui dire que ce que je suis venu voir est ahurissant, alarmant ». Plus d’un an déjà et rien de concret.

La preuve que cette partie du Bénin bénéficie de peu d’attention aux yeux des politiques dont le seul intérêt est de venir faire la quête électorale. Un sentiment largement partagé au sein de la population à Malanville. « Malanville ne fait pas partie du Bénin ? », s’interrogera Abdel Aziz FAYOMI, jeune aviculteur à Bodjécali, commune de Malanville.

Malanville entre résilience et résistance

Il y a plus de vingt ans que Bouraima Moukaila, alias « Coach », vit à Galièl, quartier le plus populaire de Malanville. De concert avec d’autres jeunes du quartier, il a initié la construction d’un ouvrage de franchissement grâce à une collecte de fonds, dont il est énormément fier : « Cette initiative citoyenne nous a permis de réaliser ce pont dont l’efficacité n’est plus à démontrer ».

Pont réalisé sur l’initiative citoyenne des jeunes de Galiel, Crédit Photo : Megan Valère SOSSOU

À Malanville, la majorité des habitations est faite de paille et de tôle pour non seulement amoindrir l’ampleur des dégâts liés aux inondations, mais aussi éviter la ruine. Elles sont récupérables et limitent les décès contrairement aux habitations en terre battue. L’élu local de Galiel, GARBA Oumorou ne s’est pas empêché de faire de même. Car, a-t-il confié, les inondations à Malanville n’épargnent personne.

Type d’habitation répandue à Malanville, Galiel, Crédit photo : Megan Valère SOSSOU

Une zone occupée par les riziculteurs et maraîchers au nord-ouest de la commune est quant à elle protégée par une grande digue de 5 km réalisée par la coopération chinoise en 2006. Au regard de l’efficacité de cet ouvrage, les acteurs sont unanimes qu’il n’y a que la construction d’ouvrages de protection qui pourra pallier le problème.

Au contraire, selon nos recoupements, la grande majorité des investissements (60 %) est dépensée dans les projets de secours chaque année, après donc la survenue des inondations et leurs dégâts, contre une part relativement moyenne (30 %) pour les projets de prévention, donc de sensibilisation et de production d’informations agrométéorologiques. Les investissements dans des constructions d’ouvrages de protection, d’endiguement et d’aménagement hydro-agricole sont encore plus faibles (10 %). Pourtant, tous les acteurs rencontrés reconnaissent que la réalisation d’ouvrages constitue la solution durable.

Auteur : Megan Valère SOSSOU

Pour définitivement tourner le dos aux inondations, un plaidoyer a été lancé en 2018 par la Plateforme de Gestion des Risques et Catastrophes liés au Changement Climatique. L’objectif est d’inciter à la construction d’une digue longue de plus de 100 km. Cette digue doit quitter la limite Karimama-Malanville à l’ouest, pour la limite Malanville-Nigéria à l’est.

Ibrahim SAFIRI, géomorphologue, spécialiste en aménagement des eaux de surface en appelle à une synergie d’action entre le Niger et le Bénin pour plus d’efficacité dans la lutte. Car constate-il, « du côté du Niger, les efforts qui ont été faits sont un peu plus importants que ce qui est fait du côté du Bénin ».

Un risque catastrophique permanent

En raison de l’engloutissement des milliers d’hectares de cultures, de récoltes et de la contamination du système d’approvisionnement en eau potable par les eaux d’inondation, la famine, la migration et l’épidémie de choléra constituent l’épée de Damoclès qui plane sur la commune de Malanville.

A l’image des inondations catastrophiques de 2010, les scientifiques soutiennent qu’un phénomène de grande ampleur reviendrait au moins chaque 10 ans. Il n’y a donc plus de doute sur l’imminence d’une nouvelle catastrophe climatique avec à la clé des conséquences sur la santé, l’économie, l’éducation et sur les réseaux de téléphonie, d’électricité, d’eau, d’infrastructures routières.

Pourtant, Malanville dispose d’un potentiel économique important. Elle abrite le 2e plus grand marché du Bénin dont les recettes en 2020 par exemple affichaient 105 813 150 de FCFA à la régie autonome. Il s’agit de l’un des plus grands marchés céréaliers et maraîchers de la sous-région ouest africaine. La commune de Malanville joue aussi un rôle crucial de transit de marchandises depuis le port de Cotonou par son poste frontalier. Il urge d’endiguer définitivement les inondations pour le bien-être socio-économique et environnemental de Malanville et ses environs.

Toutefois, retenons que la persistance des inondations à Malanville incombe non seulement aux différents projets exécutés sans succès ou grand succès, mais aussi au pouvoir public béninois qui accorde très peu d’attention à la résolution définitive du problème qu’à jouer le médecin après la mort.

Enquête réalisée par Megan Valère SOSSOU avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO)

Comme à Malanville, commune du Bénin, les populations de la localité de Gaya au Niger souffrent toujours des inondations malgré les milliards injectés. Les résultats de la même enquête réalisée par notre confrère Nigérien Nasser ZADA sont à retrouver en version audio ici