Dans les coulisses du « bizi », la prostitution digitalisée au Bénin

Le « bizi », dérivé de « bizness » est l’appellation d’une activité qui prend de l’ampleur ces dernières années au Bénin. Il s’agit d’une nouvelle forme de prostitution qui se démarque du travail de s3xe traditionnel par le mode opératoire des « bizi-girls » ou des « géreuses de bizi » comme elles se font appeler. Diversement apprécié au sein de la société, le « bizi » est devenu quand même une activité génératrice de revenu au profit des acteurs directs, de leur entourage et de certaines entreprises. 

Mireille est une jeune femme,  la trentaine environ. « Gereuse de bizi » depuis bientôt deux ans, nous l’avons rencontrée dans un forum WhatsApp exclusivement dédié à l’activité de « bizi ». Pour accéder à ce forum, nous avons été soumis à un processus qui est commun à tous les forums que nous avons intégrés dans le cadre de cette enquête. Après avoir pris contact avec l’administratrice principale, nous avons reçu les conditions d’adhésion qui tournaient autour d’un versement de 2100 FCFA comme frais d’inscription, présentation avec photo complète et engagement à respecter rigoureusement le règlement intérieur du groupe, dans lequel il est clairement inscrit : “l’inscription au club nécessite un degré de responsabilité. Si vous n’êtes pas majeur, abstenez-vous”. Le règlement demande également à tout membre du forum de s’abstenir de réclamer des photos des “bizi-girls” de façon tous azimuts et exagérée. C’est après avoir satisfait à ces exigences que notre numéro téléphone a été ajouté au forum. Au niveau du règlement intérieur, il y a un point qui n’est pas passé inaperçu, il était mis en exergue. Ce point indique que “tout nouveau membre du forum a droit à un plan (rencontre) gratuit avec la bizi girl de son choix”. L’objectif serait de faciliter son intégration et lui souhaiter la « bienvenue ».

Mireille réside à Porto-Novo, à plus de 40 kilomètres de Cotonou, la capitale économique du Bénin. Une situation géographique qui parfois lui fait perdre des clients. « Certains te contactent depuis Cotonou ou Calavi. Dans ces cas, le coût de la prestation monte, parce qu’il faut y ajouter les frais de transport. Ce que beaucoup n’arrivent pas à supporter ».

Néanmoins, Mireille ne se plaint pas. Elle rencontre  en moyenne  deux clients par semaine. Sa recette varie selon plusieurs facteurs, mais ce qui est sûr, le montant le plus bas que peuvent générer ses prestations pour deux clients est de 10 mille francs CFA. Interrogée sur le coût d’une prestation à effectuer à Cotonou, elle n’a pas hésité à dire 12 mille francs CFA. En détail, elle explique que 2 000 francs CFA sont réservés pour le transport et les 10 mille francs CFA pour le « service rendu ».

Des éléments de facturation…

Tout dépend, en effet, des exigences du client. En général, les « bizi girls » fixent le coût de leur prestation en fonction du nombre de coups et des pratiques sexuelles souhaitées par le client. La facture est généralement salée quand il s’agit de faire une nuit entière. Dans ce cas, la prestation peut coûter jusqu’à 60 mille francs, a confié Mireille, qui avoue que c’est l’option la plus rentable.

Si le montant est discuté et arrêté avant l’arrivée de la « bizi girls », il peut aussi changer pendant la prestation. En clair, les clauses du « contrat » peuvent être révisées selon les circonstances (le canal de prise de contact, le lieu de la rencontre et les pratiques s3exuels exigées par le client). Il faut également noter que la facturation peut aussi varier d’une « bizi girl » à une autre.

Pendant que Mireille vivant à Porto-Novo facture  12 mille francs CFA pour une prestation à Cotonou, Nadège Z. qui habite dans un arrondissement populaire de Cotonou, fixe son prix à 15 mille francs CFA. De taille courte et de teint clair, Nadège paraît plus ouverte à la négociation que sa collègue Mireille qui reste campée sur sa position. 

Lors des négociations avec le client, Mireille s’oppose à toute demande d’envoi de photos. Par contre, Nadège ne trouve pas d’objection à cette demande. Pour elle, c’est une méthode pour mettre en confiance le client et monter les enchères.

La recherche de clients…

Tout part généralement des réseaux sociaux, notamment Facebook, mais la suite se gère plus facilement via WhatsApp. Dès les premiers échanges sur Facebook, Tik Tok ou encore Tinder, vous recevez un contact Whatsapp qui vous demande de venir en inbox pour plus de détails. Ici, il n’y a pas de temps à perdre pour des discussions inutiles. C’est du bizness et  le temps, c’est de l’argent.

Comme nous l’avions signifié un peu plus haut, le « bizi » se démarque de la prostitution classique par le mode opératoire qui n’est rien d’autre que la recherche de clients en ligne. On peut penser que le choix de l’internet fait par les « bizi girls », se justifie par la facilité et la rapidité d’atteindre un nombre élevé de potentiels clients, en un temps record. Mais derrière, se cache une autre raison.

Selon Émile Comlan Badevou, économiste et docteur en sociologie, « les réseaux sociaux offrent plus d’anonymat et de discrétion, donc sont moins stigmatisants. Étant une pratique hors norme, les acteurs se cachent pour la pratiquer afin de ne pas s’exposer aux critiques de la communauté. Or, la rue ou les espaces publics n’offrent pas cette discrétion que la prostitution en ligne offre ».

Les « géreuses de bizi » ne sont pas les seules qui échappent aux regards du public grâce aux nouvelles technologies . « Les clients aussi recherchent cette discrétion ; ce qui fait que la prostitution en ligne se développe. Les groupes WhatsApp de sexe sont créés à cet effet. Il  suffira de les intégrer », a confié le sociologue.

Le fonctionnement des groupes de « bizi » sur WhatsApp

Sur les réseaux sociaux, les groupes de « bizi » sont à peine voilés. Les annonces d’adhésion sont publiées à tout bout de champ et abondamment sur la toile. Les créateurs sont appelés « managers » et dictent les règles à suivre. La condition sine qua non, commune à tous les groupes, ce sont les frais d’adhésion. Sur une dizaine de groupes expérimentés, on a constaté que les frais d’adhésion sont fixés à 2100 francs CFA par groupe. Les frais sont à verser via un numéro Mobile money que l’interlocuteur derrière le clavier communique. C’est du ni vu, ni connu. Les annonces d’adhésion se présentent généralement comme indiqué sur les images ci-dessous.

Dès que vous payez les frais d’adhésion, vous êtes automatiquement ajouté dans le groupe et vous recevez un message qui vous indique la suite de la procédure. Irmine, 24 ans, administre un groupe de « bizi ». Ancienne « bizi girl », elle a déposé les armes pour « encadrer et coacher les plus jeunes dans l’activité ». Elle confie que dans son groupe, chaque nouvel adhérent a droit à une prestation gratuite. « L’objectif, c’est de faciliter son intégration et montrer que nous faisons du sérieux », a-t-elle affirmé. 

Une fois dans le groupe, les potentiels clients ont la possibilité d’aborder directement en inbox les filles. Celles-ci peuvent également faire le premier pas. C’est d’ailleurs la méthode la plus courante. Pour convaincre le client, tous les moyens sont bons, notamment le partage de photos et de vidéos de performances précédemment réalisées. Ce qui n’est pas le cas dans le cadre de la prostitution de rue. « À partir de quelques séquences de vidéos, les clients ont un avant-goût de la prestation de la travailleuse du sexe qu’ils sont amenés à choisir parmi tant d’autres. La prostitution de la rue n’offre pas cette possibilité aux clients, d’où la préférence pour la prostitution en ligne  », a expliqué Dr Émile Comlan Badevou.

Jérôme vient de décrocher son diplôme de licence dans une université privée de la place, client fidèle de plusieurs « bizi girl ». Il avoue être très investi en tant que client dans cette activité. Pour lui, c’est plus facile de contacter une “fille prostituée” en ligne que d’aller se pointer au Stade de l’Amitié, à Joncquet, à Gbégamey ou à Zongo à la recherche de filles de joie. « Jusque-là, tout s’est toujours bien passé. C’est du business. Chacun joue sa partition et à la fin, tout le monde est content », a-t-il confié avec sourire.

Dos au mur, le bizi comme alternative

Les raisons qui justifient la présence des “bizi girls” dans cette activité sont multiples et diverses, mais celle qui revient très souvent et semble même commune à toutes les bizi girls, c’est la précarité. Selon Nadège Z. et Mireille, cette activité leur permet d’échapper à la précarité et de joindre les deux bouts au quotidien. “J’ai tout essayé. Ce n’est pas de gaieté de cœur que je suis dans le bizi, Livrée à moi-même et sans un travail digne, j’ai opté pour le bizi qui me nourrit désormais”, a confié la première. Elle avoue par la suite qu’elle exerce cette activité grâce à l’influence de ses amies qui y étaient déjà. Les sorties en boîte de nuit entre copines et les “chill party” ont participé à sa prise de décision. Pour ces deux bizi girls, le bizi est une transition vers une activité commerciale. C’est d’ailleurs l’objectif qu’elles s’étaient fixées au début. Elles ne comptent donc pas y demeurer toute leur vie, même si, pour le moment, elles sont encore loin du but. Mireille pense qu’il lui faudra encore un peu plus de temps pour lancer son commerce de friperie qui devait la “sauver des griffes” de la prostitution en ligne. Elle se contente pour le moment de satisfaire ses besoins vitaux. Elle n’a pas encore assez de réserves pour réaliser son projet.

Les bizi girls sont conscientes des conséquences néfastes et du danger qu’elles courent dans ce métier. Elles tentent de se protéger comme elles peuvent. Sur le plan sanitaire, elles sont vulnérables face aux  maladies sexuellement transmissibles (IST/MST). Pour être à l’abri de ce danger, “certaines bizi girls se soumettent rigoureusement à des contrôles sanitaires périodiques”, a confié une source (responsable d’un groupe de bizi).

Selon Silvio Zohoungbogbo, spécialiste en épidémiologie et santé publique, les acteurs impliqués dans cette activité de bizi s’exposent de façon permanente aux IST. “Il y a la gonococcie, la chlamydiose qui est une infection très dangereuse, mais très peu connue de la population”, a-t-il indiqué.

Le spécialiste en santé publique évoque l’ignorance des bizi girls qui ne s’offrent pas des soins adéquats. “Ces IST sont généralement causées par des rapports sexuels non protégés avec des partenaires à risque. Nos sœurs qui s’adonnent au bizi sont exposées à beaucoup de maladies. Elles n’ont pas souvent la présence d’esprit de consulter des professionnels de la santé qui s’y connaissent pour un diagnostic complet et un traitement adéquat. Elles font ce qu’on appelle un traitement probabiliste et souvent les gènes responsables de ces IST au lieu d’être tué, sont renforcés”, a-t-il ajouté.

Sur un autre plan, les bizi girls sont exposées à des actes de violences et d’insécurité. Elles peuvent subir des violences par leurs clients ou encore constituées des proies à des crimes rituels.

“Spirituellement et moralement, le bizi a également des inconvénients”, ont laissé entendre certains responsables religieux et sages que nous avons abordés sur le sujet. Mais, ces derniers se sont montrés très réticents et n’ont pas souhaité répondre à nos questions. 

Impacts socio-économiques

Le bizi est une activité informelle et indigne aux yeux du commun des Béninois, mais visiblement organisée. C’est du moins ce qu’on peut retenir des propos d’un manager « bizi ». « C’est un travail que nous prenons au sérieux, puisque ça nous permet de survivre », a-t-il confié.

Il est vrai que les retombées financières dépendent de plusieurs facteurs, mais ce qui est tangible, c’est que le « bizi » donne des moyens de subsistance aux différents acteurs. Selon Brythanie, l’une des bizi-girls les plus connues à Cotonou, le gain dépend de la clientèle. Dans une émission diffusée sur la chaîne TVC, elle a publiquement indiqué qu’elle a déjà gagné en une séance de « bizi » la somme de 5 millions de francs CFA.

La prostitution en ligne, à l’instar de la prostitution de la rue, n’impacte pas que les « bizi girls ». Elle procure également « des moyens de survie, à d’autres personnes et secteurs d’activités connexes (parents, amis, propriétaires des maisons de passe, proxénètes, hôteliers, commerçants, salons de coiffure et d’esthétiques, établissements financiers, etc.) », a indiqué Émile Comlan Badevou, auteur d’une thèse sur la prostitution. « Ce faisant, elle soutient les économies locales, morales et marchandes », a-t-il ajouté.

Sur le plan purement social, le sociologue affirme que “la prostitution assure aux hommes qui y ont recours des fonctions d’écoute, de confidence, conseillère conjugale, thérapeutiques, de préservation des couples pour les mariés, de refuge, de survie pour certains, assistance sexuelle aux personnes handicapées, source potentielle de renseignements pour les agents de la sécurité publique, contribue au maintien de l’ordre social.”

Une activité fortement dénoncée, mais…

Sur la plupart des avis reçus sur le bizi, il ressort clairement que c’est une activité qui ne fait pas l’unanimité au sein de l’opinion. “C’est salissant pour la gent féminine. Elles ont refusé de fournir le moindre effort intellectuel ou physique pour choisir la voie de la facilité. Elles ont choisi de vendre leur corps pour de l’argent, ce n’est pas bien pour l’éducation que nous avons reçue”, s’insurge Roland Djossou, web activiste. Il est appuyé par Habib Ahandessi, activiste politique et leader d’opinion, qui estime qu’il faut fortement dénoncer le phénomène pour ramener les bizi-girls à une vie « normale ». « Il faut dénoncer par tous les moyens », a-t-il martelé. “Les hommes aussi doivent comprendre qu’ils courent beaucoup de risques en côtoyant ces filles (bizi girls)”, a-t-il ajouté. D’un autre côté, “des clients aussi ont intérêt à se méfier des bizi-girls qui développent toutes sortes de vices, notamment le vol”, a confié un agent de la sécurité publique.

Le bizi est dénoncé et contesté, mais légalement, il n’y a pas de dispositif pour conforter l’indignation de la société. A la Brigade des mœurs, unité de police chargée de gérer ces genres de situation, les actions sont limitées à cause de l’absence d’une loi interdisant la prostitution. “Le problème au Bénin, c’est que la prostitution n’est pas interdite. C’est ça le vrai souci que nous avons avec ce qui se passe”, a confié une source proche de la Brigade.

Pour tenter de limiter les dégâts, la Brigade des mœurs s’investit dans la sensibilisation et la répression contre les proxénètes. Précisément, dans le cas de bizi, la Brigade a dans son viseur, les “managers, responsables de groupe bizi et ceux qui jouent les intermédiaires entre bizi-girls et clients”. “Celui ou celle qui met en contact, c’est moyennant quelque chose. Si on prend ces gens-là, on va sévir. C’est sur ceux-là qu’on peut taper pour couper la chaîne. Si un administrateur de groupe WhatsApp joue ce rôle-là, on va le coffrer », a insisté le premier responsable de la Brigade des mœurs.

Le vide juridique qui profite aux travailleurs de s3xe en général, avait été déjà relevé à plusieurs reprises. Le sujet a été remis sur le tapis lorsque le préfet de Cotonou, Alain Orounla, a enclenché une lutte contre le phénomène. Le juriste Bob Yaovi Liassidji, lui avait rappelé que “la prostitution n’est pas un délit. Aucune autorité, soit-elle un préfet de département, ne peut procéder à l’interpellation ou à l’arrestation aux fins de présenter au procureur de la République des personnes qui s’y adonnent”, avait-il expliqué.

En attendant donc ce dispositif légal qui viendra renforcer les actions des structures compétentes de répression, le bizi continue son chemin avec son lot de conséquences.

Cet article a été rédigé dans le cadre d’un programme de formation de l’association Ekôlab. Retrouvez Ekôlab sur Twitter, Facebook et LinkedIn.

Cochimau HOUNGBADJI




Prolifération des sachets en plastique non biodégradable au Bénin : sur les traces des hors-la-loi

Il n’a jamais vécu un tel désastre dans la lagune de Cotonou depuis plus de vingt (20) ans qu’il y exerce la pêche. En lieu et place des poissons et des crevettes que Pierre AMOUSSOU pêchait, les mailles de son filet n’amassent désormais que des déchets plastiques majoritairement constitués des sachets en plastique non biodégradable. Ces déchets, le Bénin en produit cent trente-neuf mille kilogrammes chaque jour (139 000 kg).

Un véritable drame écologique et sanitaire, au regard de ce que les sachets en plastique non biodégradable prennent plus de 400 ans avant de se décomposer entièrement dans la nature.

Marché Dantokpa, Crédit Photo : Megan Valère SOSSOU

Selon les données recueillies sur le site web du Programme de gestion du littoral ouest africain géré par la Banque Mondiale, en 2019, soit deux ans après le vote de la loi sur les sachets en plastiques non biodégradables, le Bénin a importé 6,7 millions de kg de plastiques dont environ 89 % de chlorure de polyvinyle et de polyéthylène connus pour leur dangerosité à la santé et à l’environnement.

Deux années avant, soit le 26 décembre 2017, le Bénin a adopté la loi N° 2017 – 39 portant interdiction de la production, de l’importation, de l’exportation, de la commercialisation, de la détention, de la distribution et de l’utilisation des sachets en plastique non biodégradable sur son territoire. Une loi qui punit toute contravention de personne physique ou morale à une amende de cinq (5) millions à cinquante (50) millions avec un retrait de l’agrément ou de l’autorisation, du gel et de la confiscation des avoirs.

Même si un décret d’application est venu dispenser certains domaines de cette interdiction, plus de quatre ans après, les sachets en plastique non biodégradable de tout genre ont plus que jamais envahi les surfaces de vente au Bénin. Le marché international de Dantokpa à Cotonou se trouve au cœur de ce trafic avec des grossistes qui commercialisent au vu et au su de tout le monde.

Dame Samira A., la quarantaine, totalise plus de huit ans d’expériences dans le commerce des sachets en plastique non biodégradable. Elle raconte « Nous commandons les sachets en plastique depuis Lomé parce que les sachets de là-bas sont plus résistants et donc plus prisés par nos clients ». Les balles de sachets sur son espace de ventes étiquetées « Top Chaos » et « Togo Star » en renseignent largement.

Elles sont souvent dix à quinze grossistes à s’associer pour lancer deux tonnes de commande chaque mois chez des commerçants togolais, précise-t-elle avant de faire remarquer les deux possibilités pour faire entrer sur le territoire béninois des marchandises stockées discrètement dans des magasins gérés par la Société de Gestion des Marchés Autonomes (SOGEMA) au sein du marché Dantokpa.

« Quand c’est une grosse marchandise, nous passons par la faveur des agents de la douane à Hillacondji, mais quand c’est d’une quantité moins importante, nous prenons par les voies frauduleuses parallèles à la frontière » a-t-elle avoué.

Hillacondji, la grande porte d’entrée des sachets en plastique non biodégradable au Bénin

À Hillacondji, des sachets en plastique non biodégradable sont déclarés biodégradables et passent la frontière. Des sources bien informées évoquent une nouvelle trouvaille pour camoufler et faire entrer les marchandises de sachets en plastique non biodégradable au Bénin. Il s’agit du système « acquis » ou « escorte douanière » où contrairement à la note circulaire No3774/DGDDI/DLRI, les marchandises passent sans contrôle, au vu et au su des services de conditionnement et de contrôle pourtant assisté techniquement par la société Benin Control SA.

Hillacondji Frontière Bénin-Togo, Crédit Photo : Megan Valère SOSSOU

Le jeu se fait de connivence avec les agents de la douane du Togo et du Bénin. Nous en avons rencontré un du côté du Bénin, pas les moindres. Il a souhaité garder l’anonymat. Pour lui, cela ne gêne en rien si les commerçants des sachets en plastique non biodégradable remplissent les formalités douanières.

D’ailleurs, dit-il, je ne peux pas vous avouer que les sachets plastiques qui passent la frontière sont non biodégradables. Mais ce qui est sûr ajoute-t-il, le douanier n’est pas un laboratoire ambulant pour tester la biodégradabilité des sachets en plastique. « Il n’existe pas un réactif pour tester la nature d’un sachet plastique et ce n’est pas à l’œil nu qu’on le fera. » a-t-il laissé entendre.

Les deux courriers de demande d’interview que nous avons adressés à la Direction Générale de la Douane et des Droits Indirects pour comprendre les dispositions prises pour l’application de la loi 39-2017 sont restés sans réponse.

A la frontière d’Hillacondji, il n’existe pas un seul agent de la police environnementale. Sur environ la dizaine d’agents de la police environnementale que compte le Bénin, aucun n’est affecté à cette frontière, selon le Directeur général de l’Agence Béninoise pour l’Environnement, François-Corneille KEDOWIDE.

Au Ministère du Cadre de vie et du développement durable, la lutte contre la prolifération des sachets plastiques non biodégradables se mène avec tact selon Bertin BOSSOU, Directeur en charge de la Gestion de Pollution et de la Nuisance. Le ministère, dit-il, dans sa politique de lutte a recruté plus d’une vingtaine d’Organisations Non Gouvernementales, réparties dans les 77 communes du Bénin pour renforcer la sensibilisation. À l’en croire, il a également été déployé dans cette lutte la police républicaine, la police environnementale, la douane, les contrôleurs de commerce, des leaders religieux, des producteurs de Pur Water, des chefs d’établissement, en particulier ceux des écoles frontalières.

Outre ces actions, poursuit-il, des descentes ont été effectuées dans les marchés de la Société de Gestion des Marchés Autonomes pour sensibiliser et pour saisir des marchandises de sachets en plastique non biodégradable.

Un des douze détecteurs de sachets en plastiques biodégradable acquis par le ministère du cadre de vie et du développement durable Crédit photo : Megan Valère SOSSOU

Il reste optimiste qu’avec l’acquisition récente de douze détecteurs de sachet en plastique biodégradable, la lutte prendra un autre virage. Ces appareils seront déployés au niveau des postes frontaliers en attendant douze (12) autres qui couvriront l’étendue du territoire national. Bien que décidé à poursuivre la sensibilisation à travers l’information, la formation, il a sans cesse déploré la porosité des frontières qui complique la tâche sur le terrain.

Des voies frauduleuses à la frontière Bénin-Togo

En-dehors de la complicité avec la douane, des commerçants usent de plusieurs stratagèmes pour acheminer les marchandises de sachets en plastique non biodégradable sur le territoire béninois.

Gaël Tchiko est un conducteur de taxi-moto dans la journée et passeur la nuit. Il explique : « Quand bien même les sachets n’étaient pas interdits, les commerçants avaient pris l’habitude de ne pas déclarer leurs marchandises. Imaginez ce que c’est devenu dans ce contexte d’interdiction ». Pour découvrir quelques circuits frauduleux avec lui, il décide de garder notre téléphone éteint dans sa poche pour ne pas se taxer de traître par ses pairs. Nous empruntons une voie embroussaillée passant par Athiémé pour arriver à Fokomé.

À quelques encablures, nous apercevons un véhicule  Toyota Picnic immatriculé au Togo en panne, lourdement chargé en provenance du pont d’Athiémé (Frontière Bénin-Togo). À l’intérieur, d’importantes marchandises dissimulées dans le tableau de bord, le repose-tête, les compartiments, des sièges de derrière éventrés contiennent également des marchandises. À force de questionner le conducteur, il fulmine en vernaculaire « je n’ai rien à vous dire ». Nous continuons avec Gaël qui indique, « C’est ici, à Fokomé, que plusieurs produits, dont les sachets en plastique non biodégradable bien dissimulés, arrivent à traverser le fleuve Mono pour le Bénin ». Une activité très lucrative et très dangereuse, mais le jeu en vaut la chandelle selon notre guide.

Si le trafic passant par Athiémé au Togo est très apprécié des fraudeurs, il n’en demeure pas moins du trafic Lokossa-Azovè-Tohoun-Wantché sans occulter celui fluvial qui passe par Djanglanmè pour Agomé-Glozou ou à Agbannankin pour Batonou.

À en croire notre guide, c’est en réalité par ces voies frauduleuses que la grande partie des marchandises de sachets en plastique non biodégradable tout comme d’autres produits interdits ou contrefaits passent nuitamment avant d’atterrir dans des abris de fortune à Fokomé ou au centre-ville d’Athiémé. Pour les contrebandiers, la frontière n’existe que théoriquement.Ils sont tous autant convaincus qu’il serait difficile pour la patrouille douanière de surveiller 24 heures sur 24 les mouvements au niveau de ces voies frauduleuses.

Des commerçantes rencontrées au marché Dantokpa ont fait savoir que des marchandises proviennent également du Nigéria même si ces derniers sont moins résistants et moins prisés. La localité de Banigbé dans le département du plateau et la commune de Semè-Kpodji dans l’Ouémé ont été désignées comme porte d’entrée des sachets en plastique non biodégradables en provenance du voisin de l’Est.

L’internet comme facilitateur des commandes en Chine

Les sachets en plastique non biodégradables sont sans frontières. Pour faciliter les commandes, des fournisseurs confirmés en ligne sont mis à contribution sur Alibaba.com. Sur cette plateforme de vente en ligne, des entreprises chinoises proposent plusieurs gammes de sachets en plastique non biodégradable à destination de nombreux pays du monde dont le Bénin, le Togo et le Ghana.

Au nombre des produits proposés, nous avons des enveloppes plastiques à bulbes, des sacs plastiques autoadhésifs, des assiettes jetables en plastique à emporter, des sachets d’eau, des sachets plastiques transparents et de toutes les couleurs avec diverses dimensions allant de 15/23 cm à 40/60 Cm.

Pour Rodrigue RUSTICO, Financier économiste, les dispositions sont claires : un produit interdit ne doit pas avoir la complicité d’un agent. Si c’est le cas, l’agent s’expose et l’importateur aussi. En la matière, explique-t-il, c’est l’économie béninoise et l’environnement qui en souffrent. Il n’est pas surpris de la grande avancée dans la fraude après le vote de la loi. Car soutient-il, ce sont les mêmes acteurs qui sont toujours restés dans cette filière et cela démontre combien de fois les frontières sont perméables.

Le Spécialiste recommande le renforcement de la sécurité au niveau des frontières avant d’inviter chacun à se ranger et comprendre qu’au-delà de l’aspect financier, la protection de l’environnement doit primer.

Dans la perspective de donner aux consommateurs une alternative, le gouvernement, à travers un décret d’application, a autorisé et fixé les conditions d’installation des sociétés de production des sachets en plastique biodégradable au Bénin. Mais, la mayonnaise tarde à prendre.

« Prêts à faire des sachets en plastiques biodégradables, mais la corde au cou »

Selon Clément KOTAN, Directeur de l’organisation de la société civile dénommée, Unité de Protection de l’Environnement (UPE), aucune des sociétés agréées pour fabriquer les sachets en plastique biodégradable ne peut le faire réellement. Et pour cause, l’investissement serait trop coûteux. Il évoque une somme minimum de 500 millions à 800 millions de Francs CFA.

Par ailleurs, l’amidon, la matière première qui doit servir à la fabrication des sachets en plastiques biodégradables en plus d’être coûteuse est périssable. Les acteurs étants prêts à faire des sachets en plastiques biodégradables, mais la corde au cou, regrette Clément KOTAN.

Tandis que le sachet en plastique non biodégradable du format 40/60 Cm est vendu à 50 Fcfa au marché Dantokpa celui biodégradable du même format est vendu à 250 Francs CFA dans les supermarchés. Un prix inabordable pour le commun des Béninois qui trouve déjà de difficulté à distinguer le bon grain de l’ivraie dans un contexte où tous les sachets en plastique sont vantés de biodégradables.

Félix ADEGNIKA, expert en Eau et Assainissement, relève trois niveaux de contraintes dans cette lutte : Il s’agit du fort ancrage de l’usage des sachets plastiques dans les habitudes des Béninois, de la multiplicité des sources informelles des marchés de sachets en plastiques non biodégradables et de l’absence de substitut en quantité et à prix abordable. Pour y arriver, il propose des actions qui se résument en trois mots. Sensibiliser, Substituer et Sanctionner.

Tant que les sachets plastiques continueront de rentrer dans le pays, les messages de sensibilisation seront dans le vide, dira Sandra IDOSSOU, activiste environnementaliste. Dans tous les cas, le bilan reste un échec quatre ans après le vote de la loi. Le chemin serait long à moins d’un changement de paradigme à tous les niveaux.

Cet article a été rédigé dans le cadre d’un programme de formation de l’association Ekôlab Retrouvez Ekôlab sur Twitter, Facebook et LinkedIn.

Megan Valère SOSSOU