Journée Internationale de la Sage-femme : Laurence Odounlami MONTEIRO et Annick NONOHOU parlent des progrès et défis à relever au Bénin

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Le 5 mai de chaque année est réservée à la célébration de la journée internationale de l’un des plus beaux métiers au monde. Il s’agit du métier de Sage-femme. En prélude à la célébration de cette année ayant pour thème « 100 ans de progrès » qui rappelle la création de la confédération internationale des sages-femmes (ICM), le Journal Santé Environnement a eu un grand entretien avec deux grandes dames expérimentées du corps des sages-femmes sur l’état des lieux, les progrès, les difficultés et les défis liés à ce métier au Bénin.


Il s’agit de Mme Laurence Odounlami MONTEIRO, Sage-femme cadre à la retraite et Présidente de l’Association Nationale des Sages-femmes du Bénin et de Mme Annick NONOHOU épouse AGANI, Sage-femme, Juriste, Activiste des droits humains en milieu sanitaire et présidente du réseau des soignants amis des patients.
D’entrée de jeu Madame la Présidente, dites nous ce que c’est que le métier de sage-femme.
Mme Laurence : Une sage-femme aide ses sœurs, les femmes, à accoucher, à donner la vie. C’est la définition simple que je peux donner. Ça suppose qu’elle a reçu une formation et elle a eu le droit d’exercer légalement la profession de sage-femme pour donner les soins complets de maternité, les soins pré et post natals qui répondent aux normes globales de la confédération internationale des sages-femmes.
Alors, Madame NONOHOU, en tant que Sage-femme et Juriste à la fois, expliquez nous pourquoi une journée en honneur de la sage-femme ?
Mme Annick :
D’abord, toute sage-femme a l’obligation d’exercer huit missions à savoir : la mission divine, sociale, médicale, juridique, scientifique, d’encadrement, d’administration et de management. Une journée internationale a été dédiée à notre noble et sacerdotale métier pour révéler non seulement sa place primordiale au sein du système de santé mais aussi son importance en matière de bien-être social et de perpétuation de l’humanité car la profession de sage-femme demeure paradoxalement inconnue et méconnue. Cette journée permet de mener des réflexions au sujet de la revalorisation de la pratique sage-femme, des réalisations individuelles et collectives et de célébrer aussi les progrès et exploits, d’identifier les défis et perspectives pour l’atteinte de la vision 2030 de la pratique.
Revenant à vous Madame la Présidente, pouvez-vous nous dire dans quel état se trouve la profession de sage-femme au Bénin ?
Mme Laurence :
Actuellement, l’état des lieux au Bénin est très amélioré. Ce n’est plus comme avant. Si tu n’as pas le droit d’exercer légalement, tu ne peux pas continuer à exercer. Depuis juillet 2018, les réformes du ministère de la santé ont amené à ce que les sages-femmes puissent s’inscrire à leur ordre et avoir l’autorisation du ministère de la santé pour pouvoir exercer. Nous avons depuis lors, des sages-femmes libérales, des sages-femmes publiques, des sages-femmes privées. Il y a des sages-femmes pour répondre aux besoins de la population mais il en manque toujours et c’est pourquoi nous parlons d’investissement dans les sages-femmes, les gouvernements respectifs doivent investir dans les sages-femmes. Pour moi l’état des lieux est amélioré, ça marche mieux pour les sages-femmes aujourd’hui bien que les conditions de travail laissent à désirer.
Vous avez certainement quelques mots à ajouter Madame NONOHOU ?
Mme Annick :
Oui, actuellement au Bénin, du côté des cibles, je dirai que l’exercice de la pratique de sage-femme n’est pas conforme aux normes internationales de l’OMS et de l’ICN. Elle n’est pas fondée sur les droits humains. Les pratiques historiques nuisibles pour la santé telles que la position gynécologique lors de l’accouchement, l’épisiotomie, l’interdiction de boire et de manger, l’interdiction de position libre, le refoulement des conjoints hors des salles de naissances qui constituent des violences obstétricales à bannir sont encore d’actualité. La majorité des gestantes ne jouissent pas des soins prénatals humanisés ou d’un accouchement respectueux sécuritaire alors que 1500 femmes environ meurent encore chaque année des suites des complications de la grossesse et de l’accouchement.
Pendant qu’on y est, parlez nous des difficultés actuelles que vous rencontrez dans le métier.
Mme Yannick :
comme difficultés en matière de profession sage-femme, nous pouvons parler du défaut de matériels et d’outils d’humanisation pour jouir de la grossesse et de l’accouchement dans la majorité des centres. Il faut parler aussi du déficit du développement professionnel continu, de l’insuffisance de qualité de la formation initiale qui ne prend pas en compte les pratiques humanistes. L’absence de plan de carrière, les salaires non motivants, le défaut de rétention des sages-femmes spécialisées, etc. Le manque de respect, le non-respect de la dignité et beaucoup d’autres pratiques qui démotivent sérieusement les sages-femmes modèles.
Madame MONTEIRO, en tant que Présidente de l’Association des Sages-femmes du Bénin, quelles difficultés constatez-vous dans l’exercice de la profession de sage-femme au Bénin ?
Mme Laurence :
Avant c’était le manque de formation continu, ça existe encore aujourd’hui.

Les sages-femmes sont souvent décriées, pour un rien les sages-femmes sont décriées au point où elles sont parfois abattues moralement.

Une autre difficulté qu’elles rencontrent, bien que c’est le baccalauréat + 3 ans de formation pour avoir la licence, elles ne sont pas autonomes, elles ne peuvent pas aujourd’hui dans une salle d’accouchement dire ce qu’elles pensent devant un gynécologue. Or c’est de ça qu’il s’agit. Il faut qu’elles soient autonomes dans leur profession. Et au niveau des sages-femmes aussi, le respect, ce n’est pas encore ça au Bénin parce que tout simplement, on dit que la sage-femme ne se respecte pas. Lorsqu’il y a un mauvais accueil, immédiatement la population se rebelle et agit. La responsabilité médico-légale de la sage-femme n’est pas encore connue de toutes les sages-femmes du Bénin. Il y aussi que la sage-femme n’est pas assez associé aux prises de décisions du ministère de la santé. Aujourd’hui quand tu n’es pas médecin c’est vraiment difficile d’être à la tête d’une structure au ministère de la santé.
Face à ces difficultés, quels sont les principaux défis à relever pour permettre à la sage-femme au Bénin d’exercer son métier le plus aisément possible selon vous ?
Mme Laurence : Comme défis, pour moi c’est le renforcement des capacités professionnelles sur le droit de la santé. Aussi, la promotion de soins et la protection de la patiente qui vient nous voir. Les sages-femmes doivent plus étudier, ne pas s’arrêter au niveau licence, continuer leur formation jusqu’au niveau master et doctorat. Actuellement à l’Institut Nationale Médico-Sanitaire de Cotonou, le master et le doctorat se font mais nous n’avons pas beaucoup de collègues. Il faut qu’elles soient sensibilisées sur cette innovation afin de continuer les études. Il faut qu’elles travaillent sur le terrain pour acquérir les huit compétences essentielles de l’ICN. Aussi, la sage-femme doit se lancer dans la recherche, la pratique afin de faire des propositions concrètes.
Madame NONOHOU, vous qui êtes dans l’activisme pensez vous qu’il existe des innovations à apporter dans ce métier de sage-femme que vous exercez ?
Mme Yannick :
En termes d’innovation, il faut la création de groupes d’actions pour la revalorisation de la pratique sage-femme. Avoir des groupes de travail de sages-femmes leaders qui partagent leurs expériences avec leurs consœurs jeunes.

C’est également la mise en place du comité de protection des droits des patients et de promotion dans l’humanisation des soins, la tenue des rencontres fréquentes, pour pouvoir aplanir tout ce qui est mauvaise pratique, c’est l’auto-formation et la formation sur les droits humains et l’éthique de déontologie des pratiques actualisées.

C’est aussi le para juridisme en droits de la santé pour éviter les violences obstétricales.
Enfin, nous allons mettre un terme à cet entretien par vos différents messages à l’endroit des collègues sages-femmes exerçant au Bénin à la 15e édition de cette journée, Madame NONOHOU.
Mme Yannick :
Comme message à lancer je dirai à toutes mes collègues sages-femmes béninoises qu’elles sont les mieux placées pour faire des plaidoyers à l’endroit des gouvernants, des leaders d’opinion, des communautés et même des soignants pour la revalorisation de notre pratique et pour le changement de paradigme afin que les soins et services fournis par les sages-femmes soient respectueux, égalitaires, fondés sur les droits humains. L’autre chose, je leur dirai d’avoir le courage, que le métier de sage-femme est un métier très lourd mais sacerdotale et que seule la lutte pourra nous permettre de revaloriser notre pratique et de jouir de nos droits.
Madame la Présidente, aviez-vous un message a lancé à l’endroit de vos collègues sages-femmes ?
Mme Laurence :
Oui, le message que je lance à l’endroit de mes chères collègues est surtout un message d’espoir, un message de courage dans l’exercice du métier parce que ce n’est pas facile, la population ne nous comprend pas souvent mais continuons, continuons à travailler, continuons à expliquer aussi bien aux maris, aux époux, aux hommes, à la population toute entière, à la communauté ce que nous faisons. Parce que quand on ne s’explique pas c’est un peu difficile.

Le thème de cette année c’est 100 ans de progrès. Ça veut dire que l’ICM à laquelle nous sommes affiliés fête 100 ans d’existence aujourd’hui. C’est 100 ans de dur labeur, 100 ans d’espoir, 100 ans de courage et 100 ans de vie associative. Je souhaite à toutes les sages-femmes du monde, de l’Afrique et du Bénin en particulier une bonne célébration.

Propos recueillis par Gnonnandé Oslyde GLELE

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