ACTUALITE

Financement de la Santé : l’Afrique engagée pour le renforcement de la mobilisation des ressources internes

Face à une crise mondiale du financement de la santé d’une ampleur inédite, marquée par des réductions drastiques de l’Aide Publique au Développement (APD), des leaders africains et des experts internationaux se sont réunis lors d’une série de webinaires initiée par le Global Leaders Network (GLN) et la National School of Governance. L’objectif : partager des stratégies innovantes pour la mobilisation des ressources domestiques (MRD) afin de protéger les systèmes de santé, en particulier pour les femmes, les enfants et les adolescents.

Dr. Rajat Kosla, Directeur Exécutif du Partenariat pour la Santé Maternelle, Néonatale et Infantile (PMNCH), a d’emblée dressé un tableau alarmant. Il a averti qu’en 2025, les pays les moins avancés pourraient voir une chute dévastatrice de 13 à 25 % de l’APD bilatérale nette, tandis que les pays d’Afrique subsaharienne pourraient faire face à un déclin de 16 à 28 %. Selon lui, « ces chiffres ne sont pas des statistiques abstraites ; ils représentent des vies d’individus ». Les projections sont sinistres, avec une estimation de 14 millions de décès évitables supplémentaires dans le monde d’ici 2030, dont plus de 4,5 millions d’enfants de moins de cinq ans. Les réductions de l’aide étrangère pourraient également entraîner une augmentation de la mortalité maternelle de 25 % et de la mortalité des enfants de moins de cinq ans de 23 % d’ici 2040, ainsi qu’un ajout de 1,8 million de mort-nés. Le Dr. Kosla a souligné que le GLN a déjà identifié au moins 12 initiatives régionales et 7 mondiales soutenant la MRD.

L’Appel à l’Action du Global Leaders Network (GLN) a été fait par Dr. Joe Phaahla, Ministre de la Santé d’Afrique du Sud et Président du GLN. Il a officiellement lancé cette série de webinaires, qualifiant la situation de « crise mondiale de financement d’une ampleur sans précédent ». Il a mis en garde contre une « chute de 31,1 milliards de dollars américains de l’aide publique au développement d’ici 2025 ». Le Dr. Phaahla a affirmé que « l’augmentation des budgets nationaux de la santé et la protection des allocations pour les femmes, les enfants et les adolescents ne sont pas simplement une option, mais une composante essentielle de notre programme de développement mondial ». L’Afrique du Sud a elle-même mobilisé plus de 750 millions de rands sud-africains pour ses besoins internes et a conclu un accord de financement de près de 600 millions de rands pour la recherche avec des partenaires majeurs. Il a appelé à des « actions audacieuses et coordonnées » et à ce que la MRD devienne une « pierre angulaire de systèmes de santé résilients ». Le Ministre a conclu en déclarant : « Nous devons transformer ce moment de contraintes budgétaires en un mouvement pour la justice en matière de santé et des investissements durables ».

Des Stratégies Nationales Innovantes à Travers le Continent

Une collaboration finance-santé est essentielle selon M. Gracium Candio, Directeur des Politiques de Revenus du Ministère des Finances du Malawi. Il a décrit les efforts de son pays pour augmenter la MRD. Il a cité la mise en œuvre d’une stratégie de MRD (2021-2026) et d’une stratégie nationale de financement de la santé (2020-2030). Ces stratégies visent à « élargir l’assiette fiscale, renforcer la conformité fiscale, introduire des taxes sur la santé (‘taxes de péché’) et promouvoir les partenariats public-privé ». M. Candio a souligné l’importance d’une « collaboration étroite entre les ministères des Finances et de la Santé pour prioriser les investissements en santé ».

Le cas de l’Éthiopie avec le leadership politique et l’assurance maladie communautaire. En effet, Dr. Mez Daba, Ministre de la Santé de l’Éthiopie, a mis en avant le leadership politique et les réformes progressives de son pays. Elle a expliqué que l’Éthiopie a révisé sa politique nationale de santé et a mis en place un système d’assurance maladie communautaire qui couvre près de 63 millions de personnes, soit près de 50 % de sa population. Elle a également évoqué des mécanismes de financement innovants, tels que des « compacts » où le gouvernement complète les fonds pour les produits de santé reproductive, maternelle et infantile, avec un accent sur la « visibilité des résultats grâce aux données ».

Au Nigéria, c’est les réformes macroéconomiques et l’approche sectorielle qui a été détaillé par Dr. Eb Oric Yi, Secrétaire du Comité de Surveillance Ministériel pour le Fonds de Prestation de Soins de Santé de Base du Nigéria. A l’en croire, les réformes macroéconomiques audacieuses incluant de nouvelles taxes et la suppression des subventions aux carburants a entraîné une croissance significative du PIB et un « doublement de son budget de la santé » au Nigéria. Il a mentionné une loi qui alloue 1 % des recettes fédérales à un fonds de soins de santé de base, agissant comme un catalyseur pour l’assurance maladie communautaire. L’approche sectorielle (SWAp) a permis de lever environ 3,4 milliards de dollars en deux ans en regroupant les ressources des donateurs et en éliminant les duplications.

Dr. Jean Kaseya, Directeur Général de l’Africa CDC, a souligné l’importance de repositionner la santé comme une priorité politique. Il a partagé des exemples concrets, comme la République Démocratique du Congo, où des taxes de 2 % sur les biens importés et de 2,5 % sur les salaires génèrent environ 1,4 milliard de dollars par an pour la santé. L’Africa CDC forme également des « spécialistes en gestion des finances publiques » pour harmoniser le dialogue entre les ministères des Finances et de la Santé et s’engage à implémenter l’Agenda de Lusaka, qu’il considère comme « pas une option ».

Outils de Suivi et de Collaboration Régionale

Dans sa présentation des Comptes Nationaux de Santé (CNS) comme un outil « complet pour suivre les flux de dépenses de santé », Dr. Chuku Agot, Chef d’Équipe pour le Financement et la Gouvernance de la Santé à l’OMS a révélé qu’en Afrique, les dépenses domestiques représentent « un peu plus du tiers des dépenses de santé ». Les dépenses directes des ménages constitue la principale source, et qu’environ « un quart du financement provient de sources externes, rendant la région très vulnérable aux coupes de l’APD ». Le Dr. Agot a insisté sur l’importance de la transparence des dépenses gouvernementales et du partage d’informations par les donateurs pour améliorer la traçabilité.

Visualisez l’intégralité de cette conférence en ligne ici

Dr. Tinashin, Directrice par Intérim des Programmes pour la Communauté de l’Afrique de l’Est et Australe pour la Santé (ESAHC), a décrit les outils régionaux de l’organisation. Elle a mentionné les résolutions ministérielles, le forum des meilleures pratiques, et le « modèle Tanzi » de financement de la santé, qui soutient l’efficacité allocataire et la priorisation des dépenses des États membres. Ce modèle « permet de faire des simulations sur diverses questions politiques », par exemple l’effet d’une augmentation des dépenses au niveau communautaire.

Pour Mme. Vasunthara Yangpawan, Spécialiste Senior en Santé Universelle à la BAD. La BAD soutient à la couverture sanitaire universelle (CSU) à travers des « prêts basés sur des politiques et des résultats ». Ces instruments incitent les gouvernements à mettre en œuvre des réformes de santé, notamment pour la santé maternelle et infantile aux Philippines et en Indonésie, ainsi que dans des zones difficiles d’accès comme Meghalaya en Inde. Elle a souligné l’importance de l’échange de connaissances et de la collaboration Sud-Sud.

Responsabilité et Engagement Multipartite

La question de la responsabilité a été un thème central. Le Dr. Rajat Kosla a cité le cadre de responsabilité de l’Agenda de Lusaka de l’Africa CDC et les mécanismes de redevabilité sociale au niveau communautaire. Le Dr. Eb Oric Yi a évoqué l’engagement du secteur privé au Nigéria, notamment via la « Private Sector Health Alliance » et la stimulation de la production locale pour réduire la dépendance aux importations. Le Dr. Kosla a toutefois rappelé que si le secteur privé a un rôle à jouer, « la responsabilité première du financement de la santé incombe à l’État ». Il a également insisté sur le rôle crucial des médias dans la lutte contre la désinformation et la demande de comptes aux dirigeants élus. Le Dr. Tinashin a confirmé que les médias sont un « acteur majeur pour assurer la responsabilité » par leurs enquêtes.

Dr. Chuku Agot a expliqué que les outils de suivi des dépenses de santé peuvent s’adapter pour identifier les besoins de populations plus minoritaires, comme celles souffrant de problèmes de santé mentale, à condition que les données soient documentées et que les systèmes d’information soient digitalisés.

Un Nouveau Paysage du Financement de la Santé

En conclusion, la Dr. Iber, la modératrice, a insisté sur le fait que la crise actuelle n’est pas une simple transition, mais une « transformation durable du paysage du financement de la santé ». Elle a salué la collaboration entre le leadership politique et les outils techniques pour « soutenir et étendre le financement de la santé ». L’objectif est de convertir ce moment de contraintes budgétaires en un mouvement pour la justice en matière de santé et des investissements durables.

Comme un jardin dont l’eau extérieure se tarit, les pays doivent développer leurs propres systèmes d’irrigation internes robustes : élargir l’assiette fiscale, améliorer l’efficacité des dépenses et développer la production locale. C’est en bâtissant des systèmes de santé autonomes et résilients que l’Afrique et les nations du Sud pourront assurer la santé de leurs populations pour les générations futures.

Megan Valère SOSSOU

Share this content:

Laisser un commentaire

Autres publications