
La santé africaine à la croisée des chemins : Les pistes du Forum Galien pour la souveraineté
Lors d’un webinaire organisé ce mercredi 8 octobre 2025, les journalistes du REMAPSEN ont échangé avec les dirigeants du Forum Galien Afrique. Le Pr Awa Marie Coll Seck et le Dr John Nkengasong ont détaillé les ambitions de la prochaine édition et livré une analyse sans concession des défis du financement de la santé sur le continent.

La route de la souveraineté sanitaire en Afrique passe par Dakar. C’est le message fort porté par le Pr Awa Marie Coll Seck, Présidente du Forum Galien Afrique, et le Dr John Nkengasong, co-président du jury du Prix Galien Afrique, lors d’une rencontre virtuelle avec les médias. Entre plaidoyer pour un financement endogène et célébration de l’innovation, ils ont planté le décor du prochain Forum Galien, annoncé comme un moment décisif pour l’avenir de la santé sur le continent.
Une mobilisation de haut niveau pour le Forum Galien Dakar
Le Pr Awa Marie Coll Seck a d’abord levé le voile sur l’importante mobilisation attendue pour le Forum, soulignant la participation des plus hautes institutions sanitaires régionales et internationales.
« Beaucoup de personnalités seront présentes », a-t-elle affirmé, citant notamment « tous les directeurs exécutifs de l’OOAS » et « Jean Kaseya, le docteur Kaseya aussi, le DG et successeur de notre ami Keng Sun » du CDC Afrique. L’Organisation Mondiale de la Santé sera également de la partie, avec peut-être la participation du Dr Tedros, « en présentiel ou en virtuel ». « Ce sont des personnalités qui marquent le monde de la santé », a-t-elle souligné.
La Présidente a également insisté sur la diversité des acteurs conviés : des ministres, des présidents d’associations de la société civile, des financiers internationaux et locaux, ainsi que des fondations de premier plan comme Rockefeller et Gates. L’objectif est clair : « Les experts, les décideurs, et les acteurs communautaires africains qui réfléchiront à cette problématique de souveraineté nationale. »
Le Prix Galien Afrique, un « équivalent du Nobel » pour le continent
Le Dr John Nkengasong, s’exprimant depuis Washington, a pour sa part campé le prestige du Prix Galien Afrique, dont il est le co-président du jury. Il l’a décrit sans ambages comme « le continent’s most prestigious award, celebrating excellence and innovation in life sciences and public health ». Il a précisé : « It is widely regarded in Africa and globally as the equivalent of the Nobel Prize for African pharmaceutical research and innovation ».
Il a détaillé les catégories en lice : « Best Pharmaceutical Product, Best Medical Technology, Best Digital Health Product, and Best Traditional Therapeutic Products ». Un processus de sélection « très rigoureux et intentionnel » garantit la qualité des lauréats. « Le jury délibère en utilisant des critères très précis », a-t-il expliqué, ajoutant que pour maintenir son excellence, « certaines années, il arrive qu’aucun prix ne soit attribué si les candidatures ne remplissent pas les critères requis ».
La souveraineté sanitaire, une ambition impossible sans innovation
Interrogé sur le lien entre souveraineté et innovation, le Dr Nkengasong a été catégorique. « Absolument. On ne peut pas discuter de la souveraineté sanitaire en Afrique sans parler de recherche, d’innovation et d’entrepreneuriat ».

Il a situé ce débat dans un contexte mondial en mutation : « L’aide mondiale au continent diminue, et cela devrait être une opportunité pour l’Afrique d’améliorer ses recherches et ses innovations ». Pour lui, « Il est absolument impossible pour l’Afrique d’atteindre la souveraineté sanitaire […] sans recherche, innovation et entrepreneuriat ». Il a appelé à un changement de paradigme fondamental : considérer la santé « non pas comme une dépense, mais comme un investissement, car il y a un immense retour sur investissement ».
Le financement endogène, pierre angulaire de la souveraineté
Répondant aux préoccupations des journalistes, le Pr Awa Marie Coll Seck a identifié le financement comme le nerf de la guerre. « Si je comprends bien, le problème, c’est plus le problème du financement », a-t-elle constaté.
Elle a défendu une vision claire des priorités : « Nous pensons que le financement endogène doit être un financement de souveraineté. Et que le financement extérieur soit un financement d’appoint ». Elle a fustigé la dépendance actuelle : « Ce que l’on a vu pendant longtemps, c’est qu’avec de l’argent disponible, on accepte de faire des choses qui aident un peu, mais qui ne résolvent pas nos problèmes ».
Pointant du doigt le non-respect de la déclaration d’Abuja par la plupart des États, elle a lancé un cri d’alarme : « Les Chefs d’État avaient proposé que 15 % du budget aille à la santé […] Une évaluation récente a montré qu’à l’époque, peut-être quatre ou cinq pays avaient presque atteint ou dépassé les 15 %. Et maintenant, il n’y en a plus que deux. […] On ne peut pas être souverains si nous n’avons pas les moyens de cette souveraineté ».
Elle a également dénoncé les conséquences du retrait des États-Unis de nombreux programmes de santé, un « choc » qui a conduit à des pertes de vies. « Aujourd’hui, des gens sont morts à cause de cela », a-t-elle regretté, tout en y voyant une « opportunité » pour se recentrer sur le financement interne.
Parmi les pistes évoquées, celle des taxes sur les produits nocifs. « Il serait donc pertinent d’imposer davantage de taxes sur ces produits qui sont nocifs pour la santé, et que ces fonds soient affectés à la santé ». Un plaidoyer nécessaire, car « lorsque certains pays décident de faire cela, l’argent ne va pas à la santé ».
« L’avenir des Africains ne peut dépendre des élections étrangères »
Le Dr Nkengasong a complété cette analyse par une mise en garde historique. Rappelant l’élan de solidarité des années 2000, il a tiré une leçon cruciale : « Nous devons savoir que nous ne devons jamais permettre que l’avenir des Africains soit entre les mains des résultats des élections dans des capitales étrangères ».
Il a ensuite apporté un argument économique choc, comparant le PIB de plusieurs pays entre 2000 et aujourd’hui. Le Sénégal est passé de 6 à 30 milliards de dollars, la Côte d’Ivoire de 16 à 91 milliards. « En 25 ans, nous ne sommes pas là où nous étions. Cela signifie que les dirigeants politiques peuvent réellement investir dans la santé », a-t-il asséné.
Enfin, il a pointé le défi de la gouvernance et de la fuite des capitaux. « Aujourd’hui, environ 100 milliards de dollars quittent le continent en flux financiers, et nous recevons environ 30 milliards de dollars en retour sous forme d’aides ». La solution est aussi là : « Si nous réussissions à mieux gérer ces flux financiers, nous serions capables d’investir massivement dans l’infrastructure, y compris la santé ».
Sur la pharmacopée traditionnelle, les deux leaders s’accordent sur le potentiel immense mais négligé. Le Pr Seck a rappelé que « nous avons utilisé cela avant même les Européens et les Américains », tandis que le Dr Nkengasong a pointé le manque d’investissement et de standardisation, citant en exemple le budget de 40 milliards de dollars du National Institute of Health américain.
Le Forum Galien Afrique 2025 à Dakar s’annonce bien plus qu’une cérémonie de prix. Il se positionne comme une plateforme de plaidoyer et de réflexion stratégique pour tracer la voie d’une santé africaine financée, innovante et souveraine.
Megan Valère SOSSOU
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