
Contexte : comprendre la COP et les enjeux de cette 30ᵉ édition
Depuis Rio en 1992 qui a vu naître les trois conventions sœurs dont la convention cadre des nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), les Conférences des Parties (COP) rassemblent chaque année la quasi-totalité des pays du monde pour définir la réponse collective face au changement climatique. Elles constituent le principal espace diplomatique où gouvernements, scientifiques, entreprises, collectivités, ONG et activistes débattent des engagements et des outils destinés à réduire les émissions, protéger les écosystèmes, renforcer l’adaptation et soutenir les nations les plus vulnérables. Leurs importances est majeure, car elles donnent la direction à suivre au niveau mondial. Sans ces rendez-vous, il n’y aurait ni Accord de Paris, ni dispositifs de financement climatique, ni objectifs communs.
Certes, les COP ne résolvent pas tous les problèmes, mais elles structurent l’architecture même de la gouvernance climatique. La COP 30, tenue à Belém au cœur de l’Amazonie du 10 au 21 novembre, illustrait parfaitement cet enjeu. Le choix de l’Amazonie, symbole planétaire menacé par la déforestation et de multiples pressions, donnait à cette édition un poids particulier. Elle se déroulait aussi à un moment décisif où plusieurs engagements internationaux, dont les CDN et les dix ans de l’Accord de Paris, arrivent à mi-parcours, contraignant les États à montrer des avancées tangibles plutôt que de nouveaux discours. Enfin, la mobilisation de la société civile, de la jeunesse et des peuples autochtones était à son plus haut niveau, même si elle n’a pas suffi à entraîner toutes les délégations vers davantage d’ambition, de cohérence et de responsabilité face à l’urgence climatique.

C’est dans ce atmosphère que s’est déroulé la COP 30 que décrypterons avec Tabaraka BIO BANGANA, spécialiste junior en gestion de l’environnement, activiste climat et initiateur de la campagne “La COP pour les Nouveaux”, afin de décrypter ce qui s’est joué à Belém.
ENTRETIEN
JSE : Pour commencer, quel regard portez-vous sur cette COP 30 tenue au cœur de l’Amazonie ?
Tabaraka BIO BANGANA : Organiser une COP en Amazonie n’était pas un choix anodin. C’était une manière de montrer au monde, presque en face-à-face, ce que nous risquons de perdre si rien ne change. L’urgence était visible, presque tangible dans l’air. Mais ce qui frappe, c’est le décalage entre la force du symbole et la portée réelle des décisions adoptées. Les pays reconnaissent l’urgence, oui, mais les actions concrètes ne suivent toujours pas la vitesse des promesses. Cette COP, qu’on pouvait espérer être la COP de la vérité, a été fortement marquée par la présence massive des industries pétrolières, parfois intégrées directement dans les délégations officielles comme de celle de la France avec Total Energies. Cela pose une question simple, avons-nous assisté à une COP du climat ou à une COP du lobbying ? La science a une nouvelle fois tiré la sonnette d’alarme, mais le multilatéralisme montre encore ses limites à produire les résultats attendus par les communautés en première ligne.
JSE : Quelles avancées concrètes retenez-vous malgré tout ?
Tabaraka BIO BANGANA : Il faut tout de même reconnaître certains signaux positifs. Les discussions sur la transition énergétique, la lutte contre la déforestation et le renforcement de la résilience ont montré une volonté réelle d’accélérer. Trois résultats majeurs ressortent de cette COP 30. D’abord, les pays ont réaffirmé leur intention de tourner progressivement la page des énergies fossiles, en s’appuyant sur l’engagement pris à la COP 28 en 2023 d’abandonner ces énergies « de manière progressive et durable ». Mais cette avancée reste largement insuffisante car aucune feuille de route claire n’a été définie, ce qui constitue, pour beaucoup, un échec majeur d’une COP qui devait justement permettre un consensus sur la sortie des fossiles. Ensuite, le triplement annoncé de l’aide à l’adaptation destinée aux pays en développement représente un signal encourageant. L’objectif pourrait atteindre 120 milliards de dollars par an, un niveau jamais atteint jusqu’ici. Enfin et c’est une première dans l’histoire des COP, les tensions commerciales mondiales deviendront un sujet de dialogue lors des trois prochaines conférences. Une avancée considérée comme une victoire diplomatique pour la Chine et d’autres pays émergents, qui cherchent depuis longtemps à contourner des mesures comme la taxe carbone européenne. Cependant, le problème de l’inaction des pays persiste et on voit que ce ne sont pas les intentions qui manquent, mais les mécanismes de mise en œuvre. Beaucoup d’annonces restent sans calendrier précis, sans plan de financement solide et sans outils de suivi. À ce stade, le monde ne peut plus se contenter de déclarations. Les grandes puissances qui sont des pollueurs historiques doivent désormais fournir des preuves concrètes et des actions réelles.
JSE : Justement, la finance climatique reste un point de blocage. Pourquoi cela pose-t-il tant de difficultés ?
Tabaraka BIO BANGANA : La finance climatique est le nerf de la guerre parce que la question principale, c’est qui va payer les réparations même si les coupables se connaissent déjà. Tout dépend d’elle, que cela soit l’adaptation, la transition, la protection des écosystèmes etc. Les pays vulnérables de l’Afrique, de l’Amérique et de l’Asie attendaient des engagements solides, prévisibles et accessibles durant cette COP. Ce qu’ils ont obtenu reste insuffisant. Les annonces sont là, mais pas encore les mécanismes robustes. Tant que les flux financiers resteront incertains, les pays n’auront pas la capacité d’agir à l’échelle demandée. Et ce qui est le pire, c’est la montée en puissance des effets néfastes des changements climatiques qui affectent chaque jours les moyens de subsistances des milliers de citoyens partout dans le monde. De plus, les efforts actuels nous conduisent hors des objectifs fixés en 2015 de limité le réchauffement climatique à 1.5°C dans l’accord de Paris qui célèbre une décennie cette année.
JSE : Et concernant les pays forestiers et l’Amazonie, le résultat est-il à la hauteur ?
Tabaraka BIO BANGANA : Le débat autour des forêts a été particulièrement présent, et c’est en soi un point positif. Les pays forestiers ont enfin pu faire entendre leurs besoins, leurs contraintes et leurs réalités. Mais une fois encore, les outils économiques censés soutenir la conservation restent flous. On ne peut pas demander à des nations d’être les gardiennes des dernières grandes forêts tropicales sans leur donner les moyens de mener un développement juste et durable. On ne peut pas non plus exiger des pays poumons de la planète davantage d’efforts pour protéger le climat mondial, tout en continuant à investir des milliards dans les énergies fossiles, dans la déforestation ou en fermant les yeux sur les violations des droits des peuples autochtones, pourtant premiers protecteurs de la biodiversité. La COP 30 n’a pas réussi à résoudre ce paradoxe. Sur ce sujet, le chemin reste long et les attentes immenses.
JSE : Vous étiez engagé sur la campagne “La COP POUR LES NOUVEAUX”. Comment jugez-vous la mobilisation citoyenne cette année au cours de la COP 30 ?
Tabaraka BIO BANGANA : L’implication de la société civile a été impressionnante. Les jeunes, les peuples autochtones, les communautés locales et l’ensemble des organisations présentes ont insufflé une énergie remarquable. Ce sont eux qui rappellent aux dirigeants et aux négociateurs les réalités que vivent les populations au quotidien. Ils marchent, chantent, interpellent, influencent et appellent sans relâche à des actions concrètes de la part des pays.
De mon côté, avec la campagne La COP POUR LES NOUVEAUX, notre objectif était de rendre la COP accessible, de lutter contre la désinformation et de stimuler la participation citoyenne. Nous avons informé, sensibilisé et engagé des centaines de personnes en diffusant des contenus pédagogiques et des résumés des négociations sur plusieurs thématiques pour leur permettre d’agir, chacun à son niveau, pour préserver notre avenir commun. Nous préparons actuellement un webinaire de clôture avec plusieurs acteurs ayant participé à la conférence et ce sera un moment important pour donner la parole aux citoyens et poursuivre cette dynamique. Les grandes mobilisations que nous avons observées tout au long de la COP montrent une chose cruciale, celle d’une société civile qui ne veut plus être un simple témoin. Elle est désormais un véritable moteur de changement et d’influence.
JSE : En définitive, votre bilan personnel de la COP 30 ?
Tabaraka BIO BANGANA : À titre personnel, mes attentes pour cette COP 30 ne sont pas entièrement comblées. Nous espérions une COP de vérité, d’action, de transformation des promesses en résultats concrets, une COP du changement, du travail collectif et d’un renforcement réel des ambitions, notamment sur la finance climat. Certes, des avancées existent, de nouvelles prises de conscience sont visibles, mais elles révèlent aussi les limites du système actuel. Nous n’avons plus le luxe des illusions. La prochaine étape doit être celle de la cohérence, celle de l’application de ce que l’on déclare, de financer ce que l’on promet, et de protéger ce que l’on dit essentiel. La COP 31, qui sera organisée sous la co-présidence de la Turquie et de l’Australie, représentera un test décisif. Et surtout, il faut rappeler que le vrai travail se joue entre deux COP, pas seulement pendant deux semaines de négociations. Une question demeure toutefois : est-il encore pertinent d’organiser ces conférences chaque année si elles ne produisent pas d’avancées majeures ? Le multilatéralisme peut-il réellement nous sortir de cette impasse ? Malgré ces doutes, je garde espoir que le monde peut surmonter la crise climatique à condition de travailler ensemble, avec courage et cohérence.
Je vous remercie
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