L’exploitation des carrières de graviers constitue une grande activité génératrice d’emplois et de revenus pour les familles démunies de l’arrondissement de Dévé dans la commune de Dogbo surtout dans le contexte actuel de crise sanitaire liée à la pandémie du coronavirus, Covid-19. Mais, loin d’être toute rose, l’exercice de cette activité est caractérisé par des vices dont la violation des droits de l’enfant et l’atteinte à l’environnement de la commune de Dogbo.
Megan Valère SOSSOU
Vendredi 19 Mars 2021. Au village Adidevo, arrondissement de Dévé, commune de Dogbo, il est à peine 8h du matin mais le village se vide déjà de ses habitants au fur et à mesure que le soleil se lève avec pour destination les carrières d’exploitation de graviers.
Alors que les changements climatiques et l’appauvrissement des sols, ne cessent de décourager les populations rurales avec une pauvreté sans cesse grandissante engendrée par la faible productivité agricole, l’exploitation des carrières de graviers se présente comme une échappatoire pour cette frange de la population de Dogbo, qui pour en venir à leurs fins, utilise des moyens archaïques destructeurs de l’environnement, et pire, y associe les enfants.
Violation des droits de l’enfant au cœur des activités d’exploitation du gravier à Dogbo
Pendant que le travail dans les carrières est reconnu pour sa dangerosité tant par l’Etat à travers l’article 128 du code minier que par la population, force est de constater la présence de plus en plus régulière des enfants âgés de 10 à 17 ans sur les sites d’exploitation des carrières de graviers dans l’arrondissement de Dévé, commune de Dogbo.
Au total, au moins trois enfants sur cinq se retrouvent tous les jours sur ces sites d’exploitation du gravier a-t-on appris de source bien informées. Ainsi, comme les adultes, les enfants aussi sont fortement sollicités sur les sites d’exploitation du gravier à Dévé, soit pour porter un coup de main à leurs proches ou pour se débrouiller eux même.
C’est le cas de Nathalie Gnanso, la quinzaine d’âge et orpheline de père. Elle a abandonné l’école pour s’adonner à cette activité en vue de satisfaire ses besoins vitaux. Elle se confie « Je n’en pouvais plus de concilier travail à la carrière et étude scolaire avec les courbatures, les retards et les mauvais résultats scolaires. J’ai carrément abandonné l’école ».
Contrairement à Nathalie, Modeste D., passe le Certificat d’Etude Primaire cette année, visiblement blessé au pied et de passage à midi pour le déjeuner, il est obligé de porter un coup de main à ses parents sur le site. Cet enfant, né en 2008 soulève déjà une lourde charge sur ces épaules.
Tout comme Modeste, Martine Comlanvi, âgée à peine de seize ans, en apprentissage Tresse & Coiffure, pense que, travailler à la carrière, permet de venir à bout de ses besoins incessants en particulier se nourrir car justifie-t-elle les parents ont plusieurs femmes et de nombreux enfants au point où ils n’arrivent plus à subvenir à tous leurs besoins.
Pour ces enfants, âgés de 10 à 17 ans rencontrés sur les différents sites d’exploitation du gravier dans l’arrondissement de Dévé, commune de Dogbo, le désir de participer aux dépenses familiales, constitue le facteur déterminant de leur présence sur ces sites d’exploitation malgré leur âge.
Approché, le sociologue de formation, Eric Ahotondji, explique que les effets à long terme de l’implication des enfants dans le travail des mines et carrières artisanales portent généralement sur les risques de santé avec à la clé un déséquilibre dans la croissance et le développement physique de l’enfant hormis les risques d’accidents immédiats parfois fatales.
En guise de preuve, le spécialiste raconte qu’en octobre et en novembre 2020, en l’espace de deux mois, il a été dénombré quatre décès sur un site du village Adidevo-kponou.
Dans l’ignorance absolue, les adultes encouragent les enfants à transporter des charges deux à trois plus que le poids autorisé pour gagner assez de gain. Du coup, ils sont exposés non seulement à la prise de produits dopants mais aussi aux affections pulmonaires dont la silicose, les affections oculaires, dermatologiques.
Toujours est-il que, grâce à cette activité, toute la population y compris les enfants arrive à joindre les deux bouts même si leurs droits à l’éducation, à la santé, au divertissement et à la protection sociale sont bafoués.
Mais, l’exploitation des carrières de graviers dans la commune de Dogbo, arrondissement de Dévé n’est pas que actrice de la violation des droits de l’enfant, elle porte aussi une grave atteinte à l’environnement.
Une activité aux conséquences environnementales multiples
L’exploitation des carrières d’extraction du gravier est peu respectueuse des normes environnementales. Les ouvriers rencontrés sont tous unanimes sur le fait que cette activité présente des risques et des dangers pour la nature.
Au nombre des problèmes environnementaux engendrée par cette activité humaine, se trouve la destruction du couvert végétal qui se manifeste par le fait que les exploitants procèdent à la coupe systématique des végétaux sur l’espace convoité avant d’y mettre le feu pour libérer assez d’espace nécessaire à l’extraction du gravier.
A Adidevo, la dégradation du sol observée est due à l’exploitation des carrières de graviers. En effet, l’extraction de graviers se fait de façon archaïque avec la pelle, la pioche, la houe et le tamis. Ces outils bien que rudimentaires, servent à faire des entailles très profondes dans le sol qui à la longue modifient la morphologie du relief. Un ouvrier ayant requis l’anonymat, renchérit « Nous creusons de grand trou pour extraire les graviers. Plus c’est profond, plus vous avez assez de graviers ».
L’environnementaliste Firmin Sossoukpe, pour avoir étudié le sujet soutient que toutes les étapes de l’exploitation des carrières de graviers portent préjudices à l’environnement. Que ce soit, le décapage, l’extraction ou le creusage, le tri et par moment le lavage quand les graviers sont trop sales, le sol, les espèces végétales et animales, terrestres et souterrains sont victimes de cette activité. Aussi, faut-il le souligner, l’amenuisement des terres agricoles s’observe de plus en plus au détriment des espaces occupés par les carrières d’exploitation de gravier.
Pourtant une note du ministre des mines et de l’eau interdit l’extraction artisanale dans les carrières. Plus loin, aucunes des dispositions légales comme la loi cadre sur l’environnement, le code minier ne sont concrètement appliquées. Par conséquent, l’environnement béninois se dégrade de jour en jour à la vitesse de la lumière.
Il est vrai que cette activité bien que dangereuse est pourvoyeuse de revenus aux habitants de Dévé qui se trouvaient au bord du gouffre socioéconomique mais il faut y associer le respect des droits de l’enfant et protection de l’environnement.
Toutefois, rappelons que nos tentatives pour échanger avec les exploitants et ou avec les autorités impliquées dans la gestion de ces sites sont restées vaines, néanmoins, nous interpellons les ministères des affaires sociales, de l’eau et des mines, du cadre de vie et développement durable en vue de mettre fin à cette situation inquiétante à la limite désastreuse dans l’arrondissement de Dévé, commune de Dogbo.
Une enquête de Megan Valère SOSSOU